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La bible du saké. Le Guide complet pour découvrir, choisir & déguster.

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Auteurs : Brian ASHCRAFT, Takashi EGUSHI.
Titre : La bible du saké. Le Guide complet pour découvrir, choisir & déguster.
Editeur : Synchronique Editions.
Année : octobre 2022.

 
L’univers du saké de qualité offre une finesse, une richesse et une diversité n’ayant d’égal que l’amour des Japonais pour la perfection et pour la gastronomie. Bien qu’ils soient produits différemment, cette passion n’est pas sans rappeler notre culture culte voué à l’élaboration et à la dégustation du vin. Méconnu du grand public, le saké japonais est désormais prisé des amateurs éclairés et fait aujourd’hui fureur dans le monde entier.
 
Découvrez : néophyte ou connaisseur, restaurateur ou sommelier, partez à la découverte du monde fascinant du saké. Visitez avec Brian ASHCRAFT les meilleures brasseries du pays pour comprendre les techniques de brassage, traditionnelles comme modernes, les secrets de la culture et du polissage du riz, de la fermentation et se l’affinage. Rencontrez les hommes et les femmes qui produisent ce nectar, héritiers d’une histoire si intimement liée à la culture millénaire du Japon.
 
Choisissez : Takashi EGUSHI a sélectionné 100 sakés parmi les meilleurs, dont certains spécifiquement en fonction de leur disponibilité en France. Ses notes de dégustation vous permettront de choisir les bouteilles qui vous correspondent le mieux et d’optimiser vos achats. Les meilleurs sakés ne sont pas nécessairement les plus chers !
 
Dégustez : choix des récipients, températures de dégustation, gammes gustatives, accords mets-saké… L’art de la dégustation du saké n’aura plus de secret pour vous ! Embarquez pour un voyage gustatif intense rythmé par les saveurs classiques ou inattendues du saké japonais.
 
Brian ASHCRAFT est journaliste et auteur. Rédacteur senior pour le site Kotaku et chroniqueur pour le Japan Times, c’est un passionné de saké et de culture japonaise. Originaire du Texas, il vit à Osaka depuis 2001.
 
Takashi EGUSHI est un expert et un conférencier reconnu. Il est diplômé de l’Association japonaise des sommeliers et responsable d’un cours sur le tourisme autour du saké à l’université Doshisha de Kyoto. Il vit à Tokyo.
 
Ce livre a reçu le Gourmand Award (Edouard Cointreau), « Best in the world » dans la catégorie « spiritueux ».
 
Après la traduction française du livre de référence de Brian ASHCRAFT, « Whiskies japonais. La voie de l’excellence » chez Synchronique Editions, le même éditeur qui accomplit un travail minutieux et essentiel nous donne le présent ouvrage qui s’annonce, hormis son titre un peu grandiloquent, comme une autre somme indispensable pour tous les amateurs, professionnels ou simplement honnêtes hommes éclairés de notre temps.
 
Dans un avant-propos très éclairant, Richie HAWTIN, samouraï du Saké, explore le partage du saké avec le monde d’aujourd’hui. Cette merveilleuse boisson artisanale (p.4) qui fait partie de la culture japonaise depuis 1000 ans, présente un éventail surprenant de saveurs profondes, raffinées, uniques aussi bien dans ses arômes délicats que dans ses textures subtiles. En outre, un bel équilibre entre tradition et technique moderne se loge au fondement de ce processus artisanal, sophistiqué et inventif (p.4).
 
Un autre attrait de ce livre imparable dévoile les familles, les propriétaires de brasseries, les maîtres brasseurs et les ouvriers. L’énigme du saké demeure. Avec sincérité, persévérance et dévouement, un mélange d’ingrédients simples donne naissance à une « magie en créant la complexité et la multiplicité des saveurs, textures, arômes » dans une séduction absolue (p.5). Une autre force du nihonshu s’apprécie à sa capacité à souligner en douceur les saveurs des plats en se mariant aux cuisines du monde entier parfois avec stupeur ou enthousiasme (p.5).
 
Dans son avant-propos aux notes romantiques et parfois poétiques, Brian ASHCRAFT avoue son amour du paysage d’Aomori et d’Honshu où il vit depuis 2001. Il raconte sa première visite dans une brasserie de saké par un matin d’automne de 2005, à Nara : « des élégantes senteurs fermentées assaillent mes narines…mon émerveillement » (p.6). Le grand spécialiste de l’alcool de riz fermenté remarque également à regret que le nombre de brasseries de saké au Japon se réduit presque chaque année.
 
En effet, il passe de 30 000 à la fin du XIXème siècle à 1250 aujourd’hui dans l’archipel. Après des ventes au sommet en 1975, le saké représentait, en 2017, 7% des consommations bien après la bière, le shochu ou les liqueurs. Pourtant, depuis quelques années, les étrangers s’intéressent aux sakés et la qualité augmente : « Cette boisson ne reflète pas la culture japonaise mais elle est la culture japonaise » (p.7). La dynamique dépasse depuis peu le Japon puisque Taïwan, le Mexique ou le Brésil produisent d’excellents sakés.
 
La première partie s’attache à expliciter en quoi le saké demeure la boisson nationale du Japon. Brian ASHCRAFT rentre tout de suite dans le détail de la complexité définitionnelle. Alors qu’il signifiait, durant mille ans, l’alcool brassé à partir de riz, fin XIXème, le terme nihonshu (alcool japonais) le distingue du yoshu (alcool occidental). Toute confusion devient impossible. Légalement, le saké est filtré à partir de riz fermenté, de koji et d’eau (p.9). Les auteurs éclaircissent à juste titre les contresens fallacieux ou comparaisons souvent erronées entre le saké, le vin et la bière.
 
A certains égards, le saké ressemble au vin car il se consomme lors d’un repas et offre un toucher de bouche. La comparaison s’arrête là : « les brasseurs de saké disent souvent que 80% du vin dépend du raisin alors que 80% du saké dépend du brasseur » (p.10). Le saké ne résultant pas d’un jus, il ne s’identifie pas à un vin. Son procédé, comme le rappellent les deux experts, « le rapproche de la bière » (id.) Le débat s’avère captivant et demeure ouvert car des deux boissons brassées seule la bière provient du malt.
 
La théorie des comparaisons née il y a plusieurs siècles, ne date pas d’hier mais on peut affirmer que « le saké n’est ni une bière de riz ni un vin de riz (il ne s’apparente pas non plus aux boissons distillées comme le whisky). Le saké est unique et rien ne lui est comparable » (p.11). La lecture de ce livre ne lasse jamais car la variété des sujets abordés et la diversité des personnages s’enchaînent. Exemple : Toshio TAKETSURU, 14ème président de la célébrissime TAKETSURU SHUZO. La page 15 fait un focus synthétique et très clair sur les types de sakés souvent confondus en précisant que « ces catégories se distinguent par le mode de fabrication ou par les ingrédients et non par la variété de riz utilisée ou la région dont il provient ».
 
Les pages suivantes font une mise au point bien utile sur la naissance du ginjo et du daiginjo premium. Très en vogue dans les années 80-90, ces sakés premiums, employés par les professionnels, se présentaient surtout dans les concours. Ces ginjo ont durablement modifié les règles du jeu (p.19). Ensuite, l’ouvrage propose une typologie des sakés troubles et non dilués, des sakés bruts et non travaillés (p.23), des sakés de niche (p.28), des koshu (sakés vieillis, p.30), des sakés pétillants inventés aux États-Unis en 1939 ! (p.21). Les différents pieds-de-cuve (shubo) font l’objet d’une étude précise.
 
L’ouvrage passe en revue les saisons du saké (brassage, qui importent radicalement, les maîtres tonneliers. La deuxième partie aborde les « dix mille méthodes pour élaborer un grand saké » (p.41. Tout semble simple et évident : « on lave le riz, on le fait tremper, on le cuit à la vapeur, on y incorpore du koji-kin (un champignon), on réduit ce mélange en purée avec de l’eau (en plusieurs temps), on presse le tout et on embouteille le liquide ainsi obtenu » (p.41).
 
De plus près, tout renvoie à une infinie complexité : « la chimie est si complexe et l’habilité requise si grande que l’élaboration d’un bon saké relève du miracle » (id.). Le polissage du riz s’opère de différentes façons (pp.41-43). Le lavage et le trempage débarrassent le riz de la fine poudre qui reste parfois sur le grain après polissage (p.44). La cuisson à la vapeur, phase délicate suivante, précède la fabrication du koji. Un encart sur le super-premium super-poli de la brasserie Niizawa, au nord du Japon, intrigue. Surnommé « prouesse » ou expérience transcendante, ce saké issu d’un riz poli à 99% fut le seul (p.50).
 
Puis apparaît un incroyable personnage, Tsukasa NISHIDA, directeur de la brasserie Nishida Shuzoten, qui dans une inlassable recherche de la perfection, compare son saké à la maroquinerie Hermès (p.59). D’autres opérations adviennent : pressage, filtrage, pasteurisation, embouteillage (p.62). La troisième partie de ce maître ouvrage aborde les cinq ingrédients essentiels : riz, eau, koji, levure, terroir (p.73). Rarement abordées, les variétés de riz anciens figurent aux pages 84 et 85. On lira également avec un vif intérêt la page 114 sur le terroir qui confère au riz des nuances qu’on retrouvera dans la boisson.
 
Les auteurs en profitent pour exposer les plus grandes régions productrices : aichi, akita, fukuoka, fukushima, fushimi, ishikawa, kumamoto, nada, niigata, saijo, shizuoka, yamagata sans grande révélation. Les pages 125 à 154 nous présentent un guide de l’acheteur élaboré par Takahi EGUCHI. La partie 4 trait de l’appréciation du saké à trois niveaux : températures, profils gustatifs, accords mets et saké (p.153). Les spécialistes rappellent les grands principes de la dégustation. Le saké représente la « boisson alcoolisée la plus versatile du monde » (id). La dégustation atteint des sommets quand le saké s’accorde avec un plat ou d’autres sakés. Chauffer le saké ouvre toute une gamme aromatique qui ne se manifesterait pas autrement. Inversement, le réfrigérer convient à merveille aux températures estivales (id). Page 159, Takashi EGUCHI suggère une dégustation par strates aromatiques et saveurs qui nous paraît pertinente :
1/ingrédients : riz, farine de riz, riz cuit, son de riz, foin, guimauve, mochi, châtaigne, eau, barbe à papa, lait en poudre et autres notes lactées.
2/arômes fruités et floraux issus de la levure : pomme, poire asiatique, litchi, muscat, banane, melon, abricot, orange, mandarine, citron vert, fraise, lys, lavande.
3/nuances tranchantes de l’alcool : poivre, romarin, herbe.
4/fermentation : fromage, beurre, yaourt, crème fraîche.
5/nuances mûres apparues lors du vieillissement : fruits secs, chocolat, sirop d’érable, caramel, miel, champignons séchés, cèdre, chêne des fûts, noix, sauce soja, thé de Darjeeling, cire, vanille.
 
Pour contrevenir à la trop convenue pratique des accords mets/sakés, on réfléchira avec attention aux propos du célèbre brasseur Uehara SHUZO sur les saveurs profondes : « Nous ne nous intéressons pas à la façon dont notre saké se marie aux plats… Il est donc impossible de souligner les saveurs spécifiques dans certains repas. Si les associations fonctionnent, tant mieux. Nous n’y pensons absolument pas » (p.161). Le livre vient enfin sur la question cruciale du choix du récipient (pp.171-180). Dans la cinquième partie intitulée « Brève histoire du brassage du saké, d’un alcool sacré de contrebande à une boisson largement commercialisée » (pp.181-214), on regrettera le rappel de certains éléments historiques, culturels ou techniques déjà présents dans deux sommes décisives et sans doute définitives : la thèse de Nicolas BAUMERT, Le saké, une exception japonaise, Rennes, PUR, coll. « Tables des hommes », 2011 ; et Gautier ROUSSILLE, Nihonshu : le saké japonais - De la production à l'art de la dégustation, Dunod, 2019.                    
 

A l’origine. Rencontres en terres de café.

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Auteur : Christophe SERVELL, photographies Fabrice LESEIGNEUR.
Titre : A l’origine. Rencontres en terres de café.
Editeur : Apogée, Rennes.
Date de parution : 24 mai 2023.
 

Quelque chose a changé dans le café ces dernières années : il est aujourd’hui possible de boire du bon café en France, en Europe et un peu partout dans le monde. Chez soi, chez son torréfacteur, au restaurant, au bureau, la bonne tasse est accessible à tous. En effet, le café de qualité n’a rien à cacher; bien au contraire, il a tout à dévoiler : son fruité, sa floralité, ses épices, sa douceur, son corps, son équilibre et tant d’autres attributs que le grand public est en droit de découvrir.
 
Une formidable dynamique, irréversible, est en marche, car la filière que l’on nomme désormais « café de spécialité », est structurée et organisée. Producteurs, sourceurs, importateurs, torréfacteurs, œuvrent ensemble pour proposer des cafés qui n’ont jamais été si bons. Christophe SERVELL appartient à cette communauté pour avoir créé une des premières enseignes de café de spécialité en Europe : Terres de café. Depuis plus de dix ans, il voyage « à l’origine », à la rencontre des producteurs, pour comprendre les filières, les forces et les faiblesses de chacune d’entre elles et mener des projets de développement.
 
Ce sont ces expériences qui lui ont permis de comprendre quelles sont nos responsabilités -producteurs, torréfacteurs, consommateurs- et de se forger la vision qui dicte aujourd’hui sa façon de travailler et les valeurs qu’il transmet. A l’origine est un voyage à la rencontre de tout ce que devrait contenir un paquet de bon café. Christophe SERVELL, fondateur de Terres de café, sacré meilleur torréfacteur de France en 2015, sillonne depuis des années les pays producteurs, à la recherche des meilleurs cafés du monde.

Au fil du temps, il a tissé de solides liens d’affaires et des amitiés avec de grands producteurs et contribue à l’émergence d’une filière caféicole qualitative et durable. Photographe et réalisateur, Fabrice LESEIGNEUR est passionné de gastronomie et de vin. Il réalise les couvertures et les reportages de plusieurs magazines spécialisés et a signé les photographies de nombreux ouvrages en compagnie des plus grands chefs français (Alain SENDERENS, Guy SAVOY, Pierre GAGNAIRE, Alain PASSARD, Anne-Sophie PIC).
 
La préface d’Alexandre BELLANGé, PDG de BELCO, positionne les enjeux à venir du café de spécialité, véritable révolution opérée par des hommes et des femmes libres, passionnés qui ont changé la manière de produire, transformer, distribuer et boire le café dans une vision humaniste, écologique (p.5). Ce livre qui retrace un récit de voyage, symbolise aussi un témoin engagé du monde et une filière agricole en lutte pour sa survie. Les risques qui menacent l’avenir du café semblent vertigineux. « Sans producteurs, il ne pourra plus y avoir de café » (id).
 
La réduction des terres cultivables imposée par le changement climatique structure la deuxième menace. Le café pourrait redevenir un produit de luxe, plus rare. Sortir d’une consommation réflexe pour aller vers une consommation responsable et raisonnable. La conclusion paraît sans appel : « Nous ne pourrons pas nous dispenser de changer radicalement de paradigme » (p.6). Cela signifie se tourner vers des modèles agricoles vertueux, non émissifs, qui favorisent la polyculture et l’agroforesterie.
 
Dans son avant-propos, Christophe SERVELL affirme le changement radical : « il est désormais possible de boire du bon café en France, en Europe et un peu partout dans le monde » (p.11). Le café de qualité dévoile son fruité, sa floralité, ses épices, sa douceur, son corps, son équilibre (id). Le café redevient un produit gastronomique. Une nouvelle filière renaît, celle des cafés de spécialité. Cette économie repose sur un marché et une communauté. Christophe SERVELL a créé en 2009, une des premières enseignes de café de spécialité en Europe, TERRES DE CAFÉ.
 
Cette révolution décloisonne la chaîne de valeur entre producteurs, torréfacteurs et consommateurs. Elle tire sa prospérité de la rencontre et de l’échange entre les parties. L’auteur loue les voyages, les merveilleuses collaborations. Ces expériences forment autant de briques de compréhension qui obligent à prendre ses responsabilités (p.12). Ainsi, Stéphane SERVELL se forge une vision qui réinvente la production agricole respectueuse, instaure les règles d’un échange juste et d’un juste échange (p.13).
 
Les programmes de développement communs se fondent sur l’éducation, la traçabilité, la confiance en vue d’une transition alimentaire réellement durable (id). Ce beau livre illustré par des photographies respectueuses et humaines jette les bases d’une économie intelligente. Le voyage commence par le Salvador, dans la région montagneuse d’Ilamatepec (p.17). Il y a une dizaine d’années, la médiocrité dominait tous les stades de la chaîne de valeur du café, de la matière première à la dégustation en passant par la torréfaction.

Une filière commerciale domine encore le monde avec trois méga-torréfacteurs, NESTLÉ, LAVAZZA, JDE, qui se partagent 80% du marché mondial. Pourtant, aux États-Unis, le grain de qualité représentait déjà 25% avec BLUE BOTTLE ou INTELLIGENTSIA COFFEE (p.18). Le Salvador propose justement deux versions diamétralement opposées du café de spécialité. L’une où seuls comptent le volume et le score de dégustation, et l’autre où la qualité forme la base d’une démarche agricole passionnée, respectueuse et donc durable (p.19). La responsabilité et la mission de Christophe SERVELL consistera alors dans une philosophie humaniste et écologique (id).
 
En Éthiopie et précisément dans le Wallaga, des paysages de montagne verdoyants et magnifiques, les voyageurs découvrent les cafés de forêt (p.29) quasiment sauvages, d’une complexité et d’une vivacité extraordinaires. Les producteurs, tirés vers le haut, passeront alors d’une vie de subsistance à une vie de projets. Les consommateurs rentreront dans un rapport de confiance (p.34). L’acte d’achat devient engagé, sensé, philosophique (p.36). Au Costarica, dans l’Alajuela, le chasseur de café d’exception met en place des stratégies complexes de développement durable (p.53) notamment avec la ferme Volcan Azul (p.54).
 
Au Panama, dans un paysage vertigineux à coupé le souffle (p.59), développe la relation avec le producteur, le fermier, qui compose le terroir (p.63). L’auteur insiste sur le lien de souffrance qui existe entre le café et la colonisation. Au Brésil, les pionniers luttent pour une caféiculture durable, intelligente et partagée (p.72) à travers un modèle agricole biologique agroforestier (p.74). Christophe SERVELL évoque, dans de très belles pages, « un moment de grâce », « ses moments des échanges vrais, désintéressés, ces moments ancrés dans le présent, disponible pour les êtres avec qui on les partage » (p.77).
 
En Colombie, Christophe SERVELL se voit bouleversé par le bourbon rose : « je n’ai jamais senti cela. Citron, grenadine, une fraîcheur et une pureté incroyable » (p.85). Un effet millésime comme pour le vin existe dans le café. En Éthiopie, il se livre à une recherche sur les variétés botaniques autochtones (p.95). Ces cafés de vergers impressionnent avec leur dégradé : « fleurs, framboises, cassis, miel, sucre de canne, ananas, citron » (p.104).
 
Un bien beau livre passionnant qui comprend de nombreux passages poétiques presque philosophiques : « un sentiment d’apaisement, d’harmonie, nous saisit dans cette forêt, comme un ensemble nourricier qui nous enveloppe. En ces lieux, la sensation ressentie physiquement et spirituellement nous révèle que chaque entité vivante fait partie d’un tout -l’arbre, la fleur, l’abeille, le buffle, le caféier, l’étoile, la lune, le soleil, l’humain. » (p.115). Au Kenya, les cafés envoûtent littéralement : « notes de mûres, de cassis, de groseille, de framboise, de pomme verte, de tomate » (p.121).

En Equateur, les auteurs tombent sous le charme de cafés raffinés « aux notes de framboise, de rhubarbe, de jasmin, de citronnelle, de fruit de la passion » (p.159). Le café comme art de vivre.  

Dans le jardin de thé. Haïkus & méditations.

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Auteure : MANDA.
Titre : Dans le jardin de thé. Haïkus & méditations.
Editeur : Synchronique Editions.
Année : 2021.

 
Se laisser gagner par la sérénité au plus profond des montagnes sauvages ou au creux d’une douce vallée brumeuse : telles sont les expériences de paix qu’évoque le roji, jardin à la minutieuse simplicité esthétique menant au pavillon de thé. Entrer dans le jardin de thé, c’est renouer avec la poésie de l’instant, retrouver le charme des émotions discrètes. Hors du vrombissement du monde, le « sentier de rosée » prépare, de petits pas en petits pas, à l’épure ritualisée de la cérémonie du thé.
 
Dans un écrin de verdure, les dalles de pierre soigneusement disposées invitent à s’accorder à la temporalité de la nature pour mieux s’en émerveiller. Parcourir le roji c’est retrouver la liberté et le plaisir d’être, d’écouter, de regarder, de sentir, de s’étonner. Entre admiration fusionnelle et observation respectueuse face à un simple brin d’herbe ou à la majesté d’une fleur, au son d’une goutte d’eau ou au chant du rossignol, l’adepte du thé chemine sur la voie d’un équilibre serein qui découle d’une relation intime, amicale, avec la nature.
 
Enrichi d’un glossaire et de notes détaillées, Dans le jardin de thé nous invite à découvrir l’extrême raffinement et les significations profondes, cachées dans chaque détail, qui président à la composition des jardins de thé japonais et au déroulement de la cérémonie de thé, rituel du bouddhisme zen.
 
La préface du Ministre Kenichi MATSUDA, Directeur de la Communication et Culture à l’ambassade du Japon à Paris, trace les contours poétique et initiatique du jardin de thé.
MANDA, peintre et calligraphe, a reçu en 2018, du gouvernement japonais l’Ordre du Soleil levant, Rayon d’or et d’argent (chevalier des arts et des lettres en France). Elle réside en Alsace la plupart du temps, entre deux voyages, mais se définit comme une citoyenne des arts.
 
Soulignons, encore une fois, que ce très beau livre qui nous plonge dans les multiples facettes de la culture traditionnelle japonaise : calligraphie, le sumi-e, les haïkus ou la cérémonie du thé; nous arrive d’un « petit éditeur indépendant » qui réalise, depuis 2008, un travail remarquable dédié à la publication de textes de qualité et de beaux-livres sur l’Orient (notamment le Japon, la Chine et l’Inde), les philosophies non-dualistes et non religieuses (Tao, zen, advaita, yoga) et le bien-être.
 
Ce livre décrit l’intimité d’un jardin de thé et son pavillon afin de goûter la sérénité, la beauté de l’instant présent, avant de nous convier à une cérémonie du thé. Ce véritable pèlerinage nous emporte hors du temps, et les haïkus qui l’accompagnent nous saisissent dans la contemplation du monde. Par-delà l’éveil des sens, MANDA nous introduit dans l’histoire japonaise : la religion shintoïste, les coutumes ancestrales de l’archipel.
 
Nous traversons ce paysage, saisissant tableau vivant rythmé par les saisons, parfois plongé dans le silence, parfois orné du chant des oiseaux, du chuchotement du vent ou du bruissement de la pluie. Dans ce texte éminemment poétique et philosophique, le végétal, l’animal et le minéral se fondent harmonieusement par la main de l’Homme. Les haïga (dessins accompagnant les haïkus) visualisent l’environnement naturel envoûtant, captent l’esthétique des émotions suscitées par le caractère éphémère des choses du monde terrestre.
 
Finesse, simplicité, élégance, quiétude ou encore pureté, voici les mots qui nous traversent lorsque nous contemplons cet univers. De plus en plus prisé par le public français, l’art de vivre japonais, la culture zen, la méditation font partie des thématiques qui attirent. Ce livre nous suggère d’inviter la paix en soi, de contempler le temps qui passe ou de se montrer sensible vis-à-vis des petites choses, des petits gestes du quotidien.
 
D’emblée, la profondeur et la puissance du propos frappe par une très belle écriture foisonnante d’images mais qui ne s’écarte jamais d’une rigueur, d’une précision. Loin du poids du quotidien déposé à la porte extérieure (sotomon) du jardin de thé, MANDA nous invite à « faire alliance avec le silence » (p.14). La pensée se libère dans l’expérience intuitive de la grâce, de la profondeur d’un silence arraché à la domination du quotidien qui obère les possibilités de la surprise. S’en suit une description fine des nuances du silence : « chaque silence possède sa tonalité propre, ses hauteurs, ses couleurs, sa densité » (p.14).
 
Le présent ouvrage nous appelle au détachement joyeux, loin des bavardages intérieurs, pour réapprendre les valeurs de la pauvreté ou de l’infime. Dans la cosmogonie nipponne, l’homme et la nature communient. Le shintô se définit comme la religion de la nature. En outre, la recherche esthétique ne réfère pas à la frivolité d’une élite oisive. Elle innerve tout le quotidien. L’art du thé, jardin et cérémonie, confine à la simplicité dans son extraordinaire sens de l’abstrait et sa puissance d’imagination. Il s’agit, ni plus ni moins, que du point d’orgue « d’une vie qui devient art » (p.16).
 
L’auteure nous gratifie de pages stimulantes sur les réunions de thé et le jeu de thé de l’aristocratie de la cour impériale et la noblesse militaire au XVIème. Un moine zen très célèbre, Sen no Rikyû, au temple Daitoku-ji, instaura, contre le faste luxueux, une nouvelle voie du thé : « le jardin qui mène au pavillon de thé…doit susciter un sentiment de paix qui règne dans un jardin niché au plus profond des montagnes, qui évoque à la fois montagnes profondes et vallées mystérieuses » (p.18).
 
L’allée qui mène à ce jardin moussu évoque une traversée jusqu’à la hutte de thé. Le texte, onduleux, tout à la fois mystique et poétique mais également rigoureux, nous emporte dans une joie légère et pure provoquée par un accord intime avec les éléments où la sagesse réside dans le fait de devenir « l’hôte des nuages » (p.20). La nouvelle esthétique du thé wabicha comprend le wabi (tranquillité intérieure) et le cha (pratique du thé). « La voie du thé offre les expressions les plus élevées du culte de l’instant » (p.31).
 
Un bien beau livre dont on fera souvent son miel en relecture, dense, onirique, précis, qui ravira autant les amoureux des haïkus que les fervents de belles illustrations ou bien tout néophyte qui voudra s’initier à l’évidente complexité de la philosophie nipponne à travers le jardin de thé, perception insoupçonnée de la sérénité de l’instant (p.64), cette « poignance des choses » (p.80) que les japonais nomment « mono no aware », art des instants cueillis en quelque sorte. MANDA peint et écrit, dans un seul mouvement, une esthétique de l’évanescence en guise d’éternité (p.122).

Si tu veux la paix, prépare le vin. Éloge de la Bourgogne.

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Auteure : Laure GASPAROTTO
Titre : Si tu veux la paix, prépare le vin. Éloge de la Bourgogne.
Editeur : Grasset.
Date de parution : 12 avril 2023
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Journaliste au Monde, historienne médiéviste de formation, Laure GASPAROTTO écrit sur le vin depuis plus de vingt ans. Dégustatrice reconnue, auteure d’ouvrages importants tels que son « Atlas des vins de France » qui fait autorité sur les vignobles français, l’écrivaine du vin signe un très bel opus, variations d’un éloge de sa Bourgogne.
 
« Si vis pacem, para vinum ». Ces quelques mots figurent dans le Traité d’Arras de 1482. Le vin mettrait-il tout le monde d’accord, pacifierait-il les esprits ? Comment clore une guerre qui met l’Europe à feu et à sang ? En scellant l’amitié nouvelle non pas au fer du tonneau, mais dans un partage civilisé poétique et puissant. Cadeau fait aux rois de la terre et aux reines, transporté en carriole jusqu’à la table des empires réconciliés. Aujourd’hui, par cargo ou avion. Que l’histoire du vin et de la terre soit aussi puissante que l’histoire des hommes cruels ou malhabiles, voilà une sidérante énigme.
 
Tel se déploie le projet enthousiasmant de Laure GASPAROTTO, nous conter cette terre de passage, de commerce et de rivalité : la Bourgogne. Cette région qui a inventé le vin, scientifiquement et artistiquement, dans le secret des monastères cisterciens, mêlant influences méditerranéennes et continentales. Depuis le 11ème siècle, c’est bien ici qu’ont été développés tous les savoirs, dont naquirent des grands crus aujourd’hui légendaires et inaccessibles : Romanée-Conti, Corton Charlemagne, Bâtard Montrachet, Charmes Chambertin, Clos de Vougeot.  

La Bourgogne symbolise ce don de la vigne et ses fruits, trésors élevés par des artisans de la terre et du végétal, des passionnés discrets qui perpétuent le geste ancestral du vigneron contre les grandes transformations du monde. Ce vignoble, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, tant décrit par la littérature, ouvert et pourtant bien caché, ne vaut que par sa façon de l’aborder : pieds dans la terre, mains à l’œuvre, palais à l’affût. Laure GASPAROTTO, brillante bourguignonne d’adoption et passionnée de vin, nous raconte admirablement son horizon, ses histoires, ses grandes figures comme les magnifiques Lalou BIZE LEROY ou Aubert DE VILAINE.
 
Eloge joyeux et vibrant d’un rapport au monde, ouvert mais conscient de son histoire, jamais rincée ou appauvrie par une mondialisation galopante : la Bourgogne incarne la France.
 
Rentrons maintenant dans le vif du sujet et partant de l’ouvrage original et écrit tout à la fois en essayiste et en romancière. L’auteure de « Meursault en Bourgogne » (2000) se place d’emblée sous l’ombrelle protectrice de l’âme baudelairienne du vin, tant il requiert des efforts violents sous le soleil brûlant, des abnégations intraitables, des ingratitudes solaires, tant il relève d’un « entêtement de civilisation » et d’une sorte de folie (cf. Vigneronne, 2021, pp.100,158).

Les trois premières pages qui inaugurent le présent livre ne peuvent que nous réjouir pleinement (pp.9-12) car Laure GASPAROTTO introduit une délicate méditation sur les lieux d’ancrage oniriques, réels ou parfois même très fictifs qui nous traversent : « Je n’habite nulle part. Ce sont les lieux qui m’habitent » (p.9). Plus profondément, cette réflexion sur l’atopie et le nomadisme la ressource, a contrario, vers le seul topos permanent : le vin.
 
Après un « déjeuner enchanté » chez les trois frères enchanteurs de Gérone, Josep, Juan et Jordi ROCA, au restaurant élu deux fois (2013, 2015) meilleur du monde au W50, EL CELLER DE CAN ROCA, lors de la visite de la cave, devant la chapelle dédiée à la Bourgogne, elle vibre de tout son corps : « Mon cœur se mit à battre plus fort…La Bourgogne est la seule région capable de mettre au beau milieu de la nature une porte avec une clé. » (p.11). Dans une manière herméneutique, la sensible vigneronne qui s’essaya ailleurs à dompter la liane ensorcelée, nous rappelle que la Bourgogne excède ses climats, elle « s’érige en personnage historique et modèle philosophique » (p.12).
 
Le chapitre sur les vendanges (pp.13-28) vient, de façon toujours poétique, sur cette imprégnation, les parfums et les couleurs uniques : « la profondeur de ses sols bruns, ses forêts à trompettes-de-la-mort » (p.13). L’ancienne heureuse possesseure de maisons, dont une de mariage (p.16), dans la région témoigne d’une sensation très physique d’envoûtement : « La Bourgogne me hante » (p.14).
 
Se faisant, l’ancienne chercheuse en histoire médiévale à la Sorbonne, dans une pelote à plusieurs fils, va nous prendre progressivement par le coeur avec tendresse et générosité pour nous conter l’histoire et la géographie de ce paysage de tous les passages qui donne naissance à « Montrachet et Romanée-Conti…références absolues du plus grand blanc et du plus grand rouge de la planète » (p.14). Outre ce dialogue secret et fervent avec sa Bourgogne qui a changé le cours de sa vie, telle une personne qui transforme, la coauteure du « Jour où il n’y aura plus de vin » avec Lilian Bérillon (Grasset, 2018) entreprend une interrogation métaphysique sur un modèle qui dépasse le temps des hommes.
 
La murisaltienne « émerveillée » (p.19) décrit avec émois ses premières vendanges au Château de Monthélie mais nous dessine surtout une esthétique du vin (p.20). Celle qui a réalisé le tour du monde des vignobles et des cépages essaie de comprendre, tout au long de ce beau livre à la fluidité digne d’un polar, pourquoi le pinot noir et le chardonnay font rêver le monde entier : « Deux aspects du même fruit… le jour et la nuit, la Lune et le Soleil ? » (p.23).
 
Dans le chapitre intitulé « Du grenier à la cave » (pp.29-40), la touchante écrivaine enrichie de ses rêveries retourne à ses premiers pas beaunois, après sa thèse sur les lettres de rémission des ducs Valois de Bourgogne, dans les combles du Château de Beaune, pour effectuer l’inventaire des archives de la Maison de négoce bien connue, Bouchard Père et Fils, fondée en 1731. Dans cette « œnothèque unique au monde, avec les trésors liquides du XIXème siècle », le « rat de bibliothèque » se mue en « rat de cave » (p.30).
 
Dans les archives de la Maison Louis LATOUR, créée en 1797, Laure GASPAROTTO saisit soudain, dans un geste presque psychanalytique, son rapport au monde : « poursuivre l’histoire des autres me permettait d’échapper à la mienne, dont on m’avait privée, par une rupture radicale de pays et de langue » (p.31). Elle découvre aussi les valeurs bourguignonnes de liberté, d’indépendance et de loyauté : « Entre mes mains coulaient deux cents ans d’histoire, sous forme de lettres commerciales et intimes : des échanges de la Bourgogne avec le monde entier » (p.32). Une autre valeur héritée prime tout : « l’amour loyal pour le vin est plus fort que l’argent » (p.39). 
 
Dans un élégant chassé-croisé noué entre son histoire intime et la grande histoire mémoriale des Hénokiens, la critique de vin corrobore que « la Bourgogne a mille ans d’avance sur toute autre région du monde entier, notamment parce que ses hommes font partie intégralement du terroir » (p.35). Celle qui fut l’une des premières femmes à écrire sur le sujet ressent alors un sentiment d’appartenance et de reconnaissance : « Lorsqu’on accomplit quelque chose en Bourgogne, c’est pour longtemps » (p.38).   
              
Le chapitre suivant, très instructif, nommé « La saveur des mots, la magie des climats » (pp.41-64) traite avec bonheur et malice de cette Bourgogne, autant dictionnaire que géographie, où « l’on marche sur les noms » (Bernard PIVOT, cité par l’auteur p.41) dans la découverte littéraire d’un vignoble, « cette marqueterie agricole » (p.46) de 1247 climats qui résultent d’un « entêtement millénaire » (p.55). Derrière les portes closes des monastères, dans le secret de leurs caves, le vin de Bourgogne a basculé de simple jus de raisin fermenté à sujet de culture.
 
Le climat, basé sur une roche-mère, spécifiquement étudiée, observée, expérimentée, hisse le terroir au niveau du concept (p.52). Il faut parfois dix millésimes pour comprendre la personnalité d’un climat (p.62). Le suspense sur le titre du livre se voit lever page 53. On notera, ici, la pertinence architectonique de l’ouvrage. Le traité d’Arras, en effet, en 1435, marqué par l’adage « Si vis pacem para vinum » (si tu veux la paix, prépare le vin) contre la locution latine Si vis pacem para bellum (Si tu veux la paix, prépare la guerre), ouvre une période faste et un raffinement suprême pour la Bourgogne et pour la paix européenne.
 
Inventé au Moyen Âge, le modèle viticole bourguignon demeure unique au monde car le vin sert de chemin dans une quête esthétique (p.63). Le chapitre qui suit, « Une source universelle d’inspiration » (pp.65-86) porte sur la place de la Bourgogne dans la mondialisation du vin. Notons le sens affûté des formulations drôles qui poivrent, çà et là, le texte tel que « Quoi qu’on dise du critique américain Robert PARKER, ses notes avaient l’avantage de révolutionner un système pyramidal aux allures féodales…sa notation a eu pour effet de créer de nouveaux rois plutôt que de faire tomber des têtes » (p.66).
 
Ce qui fait la force de la Bourgogne, c’est la notion de vin de lieu (p.71), l’esprit des lieux à la manière du vigneron Henri JAYER (p.72). Ce qui caractérise la Bourgogne, c’est donc son obstination unique. La partie qui vient ensuite, « L’église au milieu du village » aborde de manière à la fois offensive et poétique la question du rachat des domaines par LVMH, notamment Domaine des Lambrays (p.91) ; et Clos de Tart ou Joseph HENRIOT (p.132) par François PINAULT. La spéculation, côté pervers de la réussite de la notion de terroir (p.95) fait pendant à la rareté notamment dans des domaines comme celui d’Auvenay crée par charismatique Lalou BIZE-LEROY (p.98).
 
Ailleurs, on trouvera, dans ce livre attachant un beau portrait d’Aubert DE VILLAINE mais aussi de son épouse Pamela FAIRBANKS, une méditation sur le silence monacal dans lequel s’élève le vin sous les voûtes de la cuverie de la Romanée-Conti. Rien que pour la page 112 sur les nuances du silence matriciel en lien avec le cosmos et l’éternité, le toucher de bouche d’un Richebourg 73 ou la mort d’Hubert DE MONTILLE (p.115), il faut impérativement lire la talentueuse Laure GASPAROTTO à la gloire de la Bourgogne, le seul vin à la fois nature et poésie, humain et spirituel (p.133).            
 

Races bretonnes, une histoire bien vivante.

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Auteur : François DE BEAULIEU
Titre : Races bretonnes, une histoire bien vivante.
Editeur : coédition Apogée/Ecomusée de Rennes.
Date de parution : 9 novembre 2022.

 
Races bretonnes, une histoire bien vivante raconte la naissance, la quasi-disparition et le sauvetage de la vache Bretonne Pie-Noir et de la Froment du Léon, du mouton d’Ouessant et du Landes de Bretagne ou de la chèvre des Fossés. Le livre évoque aussi le triste sort du poney d’Ouessant, du bidet breton, de la vache de Carhaix et d’autres races éteintes. 250 documents, dont beaucoup sont inédites, illustrent un récit qui couvre plus de deux siècles de l’histoire régionale. Chevaux, vaches, moutons, chèvres, ânes et volailles de Bretagne ont accompagné les humains pendant des millénaires et cet ouvrage explore les liens originaux qu’ils ont tissés.
 
Loin d’être les reliques d’un temps passé empreint de nostalgie, ces animaux portent aujourd’hui des enjeux à la fois économiques, sociaux, écologiques et culturels. Il s’agit d’un patrimoine vivant issu d’une longue aventure humaine. La préservation et la transmission de cette richesse irremplaçable seront au cœur de l’agriculture de demain.
 
François DE BEAULIEU vit à Morlaix. Il a publié quelque 70 livres et plusieurs centaines d’articles, presque tous consacrés au patrimoine naturel et culturel de la Bretagne. Il a écrit, en particulier, des ouvrages tels que Les Bretons et leurs animaux domestiques, La Poule Coucou de Rennes, Le Mouton d’Ouessant, La Chèvre des Fossés, La Mémoire des chevaux, La Mémoire des landes. Il a été le commissaire scientifique d’expositions sur le loup, les tourbières, les landes, les révolutions agricoles, les pommes et les races domestiques de Bretagne. 
 
L’excellente préface de Jean-Luc MAILLARD, Directeur-conservateur de l’Ecomusée de la Bintinais, revient sur les années 1990 et la redécouverte de la poule Coucou de Rennes (p.3). Bien plus, il s’agit de la prise de conscience de la menace de la disparition d’un pan entier de la biodiversité. En outre, il y va de la préservation d’un véritable patrimoine naturel autant que culturel : les races et variétés locales des régions bretonnes.
 
Après trente ans de travail de terrain, d’engagements et d’efforts, pour accroître les effectifs, conserver les types génétiques initiaux, accroître le nombre d’éleveurs, faire connaître les qualités gustatives des produits, valoriser la rusticité des races anciennes par des usages d’éco-pâturage; la France des terroirs et des campagnes détentrice d’un merveilleux bestiaire, se voit enfin reconnue dans sa richesse c’est-à-dire un patrimoine à la fois culturel et naturel associé au patrimoine paysager : les estives de montagnes, les Grands Causses, les bocages, les prés-salés, les landes.
 
Remarquablement édité par Apogée, petite maison d’édition rennaise qui fait un grand travail qu’on ne soulignera jamais assez, cet ouvrage sur les races bovines, équines et ovines anciennes à savoir rustiques nous prouve que la rusticité anticipe l’avenir des nouvelles problématiques de l’élevage (p.179).  
 

117 livres

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