En 1973, perce un turbulent dans la perle des Alpes. A la maison, les parents mitonnent leurs délices. A 12 ans, le pétillant tourne sa soupe à l’oignon pour le traditionnel dîner de la Saint-Sylvestre sous l’aimable regard maternel. Devant sa « gamelle », happé par les hôtes, le gamin perçoit soudain l’intense émotion de la reconnaissance du geste culinaire : « J’avais trop poivré mais j’ai adoré, convaincu instantanément de désirer devenir cuisinier ». L’adolescent déménage à Perpignan avec sa famille.
Tout dans les méchouis paternels en plein air le captivent : le parfum des aromates, la tendreté de l’agneau, sa croustillance, la braise au feu de bois. Ces fêtes de la broche qui rapprochent s’ancrent à jamais dans sa tête : « dans la décontraction de l’amitié, on se régale ». A 15 ans, l’apprentissage démarre en trombe chez un traiteur perpignanais. L’Espagne et le pic du Canigou dilate l’horizon. A Port-Vendres, le bleu touche aux plats cuisinés maison : « des belles provenances, des escargots, des seiches, des boulettes de poulpe, des encornets ».
Le vététiste trop agité à l’esprit compétiteur n’obtient pas son CAP mais son BP et vise déjà l’excellence. En 2005, le jeune chef intègre l’Ecole Lenôtre Paris, unique établissement français de formation pour l’art du traiteur. Le cycle d’études couvre tous les domaines de la créativité salée : cuisine, buffet, dressage à l’assiette. Durant huit ans, il étoffe son expérience de l’épaisseur du réel grâce à des petits restaurants où il passe de « très bons moments ». Il prend en main une cuisine au pied du Castillet, à Perpignan.
Il quitte sa région pour réaliser des ouvertures dans le Var. A Signes, il se sent bien sur le plateau. A Sète, il ouvre le restaurant de l’Hôtel de Paris, le charme du bord de mer. A Saint-Rémy-de-Provence, en 2013, il structure l’organisation des restaurants de l’Hôtel de l’Image. Ces « lieux d’amusement » déclenchent, en lui, un désir de gastronomie sans passer par « les grandes maisons ». Les clients ravis libèrent son expression créative méditerranéenne et sudiste. En 2018, à Avignon, le Carré du Palais, dans l’ancienne Banque de France, figure un lieu « magique et tendance », avec une cave à vins « magnifique ».
L’année suivante, son ami l’excellent Stéphan Paroche*, chef au Hameau des Baux, au Paradou, une maison de famille au cœur des Alpilles, lui tend sa place. En 2021, au Château de Massillan, à Uchaux, non loin d’Avignon, Christophe CHIAVOLA creuse le terre et mer « fou » avec son taureau camarguais, huître, sureau, jus de cochon. L’étoile en six mois consacre son style juste, affirmatif et corsé, franc et épuré, floral et féminin qui « percute les gencives par l’acidité et les piments où le jus est un condiment ».
En mouvement, exerçant un doute permanent sur lui-même sans doute par excès de modestie, celui qui avoue son goût prononcé pour les concours, coach de l’équipe de France, remporte, en 2023, le titre de Vice-Champion de la Coupe du Monde des Traiteurs ICC – Sirha devant douze pays, en compagnie de Ludovic Durand et Clément Charlier : « j’ai pleuré sur le podium, des exercices techniques mémorables, une tartelette végétale au caviar, panacotta crémeuse, des têtes de poissons si concentrées qu’elles ressemblaient à de la harissa, une poulet rôti finger, une raviole de cochon, des inserts cabillaud-thon-saumon à la farce fine fondante en chaud-froid ».
Au Prieuré-Baumanière, aujourd’hui, celui qui croit à la théâtralisation d’un produit simple en « plus-value cérébrale », mêle l’audace singulière de son esprit de liberté aux matières plus douces : « l’alcalin atténue le piquant ». Cette tentative instinctuelle au service de la nature relève aussi d’une tentation de l’imaginaire et de l’histoire. Les notes florales ne présentifient pas une délicatesse visuelle mais un héritage naturel : « la tagette apporte de la fraîcheur, une sensation de fruit de la passion. Le gingembre poivre. Les feuilles de capucine assaisonnent ».
L’huître, kiwi, Saint-Germain se double d’une tartelette oignon parmesan, gel poivre et d’une gaufre au Comté, condiment estragon, jambon ibérique. L’araignée de mer enroulée dans la bergamote et le pied de cochon s’accompagne d’un bouillon du crustacée arachnéen. Le turbot nacré aux petits pois, menthe et wasabi dépêche l’agneau provençal, boutargue, oignon et moelle dans un jus iodé. Le miel à la glace carotte acacia annonce la fraise au sarrasin, sichuan et sorbet épicé avant le dulcey, chocolat Xoco Mayan Red 70% avec son caramel, caviar, glace lactée. Avant la nuit, la glace à la bière blanche, siphon citron et le financier acide piquant nous bercent.
Photos : Virginie Ovessian - Olivier Pascuito