PORTRAIT DE CHEF
Vincenzo REGINE

Par Fabien Nègre
  • Chef Vincenzo Regine
  • Domaine des Andéols
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  • Le Domaine des Andéols

Affable ischiois, charmeur bruxellois, saturninois malicieux, aux Andéols, dans une folie à ciel ouvert parsemée d’œuvres d’art, entre platanes magistraux et lavandes céruléennes, Vincenzo REGINE ose la trame bifide de son paysage phlégréen et l’horizon sapide du Lubéron.   

Le 1er mai 1979, sur l’île d’Ischia, au nord du Golfe de Naples, érupte un garçon placide dans un petit paradis. Les aïeuls œuvrent à la terre et à la vigne. A dix ans, son grand-père paternel, vigneron, lui tend un fond de verre en cave. Le grand-père maternel, cuisinier à bord d’un bateau lors de la deuxième guerre mondiale, transfigure l’ordinaire en merveille : « un partage magique très simple, une fête autour d’une table, une pasta mista, soupe de pâtes aux haricots, lentilles, carottes et moules pour nous réunir ».
 
Sur la colline, où chaque maison aligne ses clapiers, le lapin, plat rituel dominical, seule viande de la semaine, gargarise, rôti à l’ail, aux herbes du jardin, sarriette et oignons. Le soir, au dîner, toute la famille s’attable autour des bucatinis à la sauce au biquet. Le père bonifie son entreprise de maçonnerie mais il soigne également son potager d’où il prélève de succulentes tomates muries au soleil, de gracieuses aubergines, des poivrons écarlates et des grosses feuilles de basilic épaisses pour son pesto estival.
 
La mère, rôtisseuse éprouvée, s’active aux braséros : « je demandais toujours le même format de pâte gratinée au four et à la tomate ». Le junior bon élève ivre de Ferrari ne se projette pas, pour autant, en tablier blanc. Il suit sa grande sœur à l’Ecole de Géométrie. A 16 ans, le jeune homme descend du cheval en route. La chimie et les mathématiques l’agréent peu. En 1995, alors qu’il cherche encore son chemin, un oncle paternel, chef dans des hôtels de l’île aux sources thermales, l’emporte dans un mariage pour lui prêter main forte. Illico, le petit se grise d’une sensibilité au goût des produits.
 
Cette aubaine avunculaire n’élude pas pour autant l’école hôtelière qu’il fréquente avec assiduité à l’IPSSAR entre 1996 et 2001. Le commis d’un des plus beaux paradors de l’île, le Régina Isabella 5*, y touche à l’art culinaire grâce aux entremets et aux riz travaillés. A 22 ans, l’étriqué dans son espace de pinèdes et de rochers, afin de découvrir la diversité européenne, en six ans, franchit tous les postes de Bocconi, la table gastronomique de l’Hôtel Amigo de Bruxelles, jusqu’au titre de Chef exécutif. Une aventure. Un tressaillement culturel.
 
Les distinctions pleuvent : meilleur restaurant italien au guide Delta 2007, Maestro Belgique 2008. Le trentenaire relâche la pression par l’étude de la pâtisserie chocolaterie, en 2009, à l’Atelier Del Gusto, dirigé par Frédéric Bourse, à Bergame : « Un bon chef se doit d’apprendre l’univers sucré ». Du cannolo sicilien, ricotta chocolat, au baba ou sfogliatelles napolitaines, ricotta et fruits confits, Vincenzo REGINE engrange les savoirs ultramontains.
 
En 2011, chez Via La Manna, toujours à Bruxelles, le directeur d’un restaurant gastronomique italien moderne, d’une trattoria et d’une cave à vins s’amuse à accommoder sa splendide Italie : foie à la vénitienne, riz piémontais, fregola sarde. A l’Atelier Yves Matagne**, en 2012, sur le versant traiteur de luxe, il saisit autant le rôle d’un chef à domicile, la précision des gestes, que la structuration des dîners de trois cents couverts. Chez Emily Ristorante by Degan, encore dans la capitale belge, sous la houlette d’un propriétaire exigeant venu du monde de la mode masculine, le chef maintenant confirmé dégaine son esprit cisalpin raffiné : raviolis vraiment maison, cappelletti mortadelle pistache, noix de veau de lait piémontais, tomates d’Ischia.
 
En 2019, après quelques années de conseil en formation d’équipes, montage de cartes et sélection des artistes et artisans du goût, le chef italo-belge, sur une annonce Relais & Châteaux, recouvre le soleil azuréen aux Remparts, second établissement de la Chèvre d’Or, à Eze. Arnaud Faye force son admiration par sa délicatesse, sa stature de meneur de brigade champion du monde de pizza double étoilé, son intuition méditerranéenne dans un lieu époustouflant. En 2020, le chef à l’Hôtel Cœur de Megève expérimente la montagne haute-savoyarde aux poissons de lac et de terroir à l’image de la fera, de l’omble chevalier, du brochet ou de la truite.
 
La vache montbéliarde l’anime autant que le bourgeon de sapin. En 2022, retour dans le Sud au Domaine & Demeure, entre Béziers et Narbonne puis au Domaine de Verchant à Montpellier. La bistronomie complète son registre : « poulpe à la bolognaise, sauce bolognaise, fonds de légumes, sauce tomate ». Le céphalopode marin cuit entier puis découpé en morceaux sur une espuma de pomme de terre apostrophe le terre et mer de sa jeunesse ilienne.
 
Depuis mars 2024, au Domaine des Andéols, dans un lieu munificent, paysage de silence et de sérénité, du thym, du romarin, des champs de lavande et des abeilles, les couleurs et les formes modèlent des forces esthétiques. Le calme des Cyprès, la vie de village suscitent une « connexion profonde avec la nature ». Vincenzo REGINE nous conte une histoire racinaire mêlée, une cuisine véritable de la provenance solaire du massif des Préalpes en petit Lubéron.
 
Dans ce domaine aux mille oliviers, les herbes aromatiques et le pain ravivent le regard de l’enfant où les harmonies de l’ombre et les fulgurations des rivières formulent le mouvement vital des équations cosmogoniques. Les poissons de la Sorgue et la criée du Grau-du-Roi serties de tomates anciennes emplissent d’aise. La tartelette au safran se mire dans une déclinaison d'ail noir. Le beignet à l'olive noire, calamaretti de Gragnano frit cousine avec les artichauts violets et le guanciale. En prémices, l’exquis gnocchi se vêt en robiola et bresaola. L’œuf bio éternise l’asperge et les foliaisons.
 
Le soleil bleuit dans la truite, kumquat et algues. La gaufre, moules et chou sculpte le bouquet de la réminiscence. Le vol au-dessus du nid du volcan s’image dans un retour de pêche, fenouil et charbon. Le mistral d’Éole pantèle sur l’agneau, artichaut, petit-épeautre de Sault. Les agrumes du verger égaient le toboggan vers le chocolat carotte et la pomme, rhubarbe, muscovado.
 

DOMAINE DES ANDEOLS

Appartenant à Patrizia et Olivier Massart, le Domaine des Andéols dans un vaste domaine de 35 hectares, dispose de deux restaurants : le...

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