PORTRAIT DE CHEF
Jean-Luc TARTARIN

Par Fabien Nègre
  • Jean Luc Tartarin et son épouse
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Etoilé filant au firmament, amouraché de sa Manche, équilibriste ductile de la sensibilité des horizons marins, obsessif de l’humble chaleur humaine et de la pulsion de cuisson, le chef Jean-Luc TARTARIN, renverse l’architectural paysage urbain havrais. Dans l’ancien port aux épices, jadis orné de bois exotiques et de café, sa claire maturité lumineuse nous embarque dans la ferveur de sa concentration, une rêverie du goût.

En 1965, à Caen, notre tourbillon créatif parvient tel un «caprice» : « Ma mère voulait absolument que je naisse à Caen car elle y était née ». La lignée des TARTARIN tient des hôtels restaurants familiaux, des bars du marché au cœur des villages. « Une belle cuisine de plat du jour ». Le père, notaire à Rouen, natif de Duclair, « frustré par les circonstances de la vie, un père trop tôt disparu, des frères difficiles », songeait à épouser la carrière de Chef. Ainé d’une fratrie de cinq enfants presque tous dans les métiers de bouche, Jean-Luc TARTARIN traverse une enfance heureuse, une éducation sentimentale aux grandes tables de France. Les parents s’avèrent d’excellents cuisiniers qui élèvent « au bien manger ».



La grand-mère paternelle, « cuisinière hors-norme », apprête, dans des casseroles en aluminium culottées, sur une grosse gazinière ancienne, des béchamels de soie, des gratins de pâtes aux odeurs de lait frais. « Je suis hypersensible aux parfums ». Notre «enfant de la campagne né dans les odeurs du foin et des bouses de vache», se rafraîchit à la source, regarde la nuit juste avant les forêts, aime la solitude des bords de mer et l’humus de la terre. En fin de seconde, notre brillant chef veut rentrer tout de suite en cuisine. « L’univers de l’école me déplait ». A 16 ans, son désir d’expression déborde tout souci pécuniaire.



CAP Cuisine direct. Entre Rouen et le Havre, il démarre par le restaurant «LE PARC», une maison très classique qui crée ses veloutés de poisson, ses liaisons hollandaises au beurre manié, présentent ses soles meunières au guéridon. En 1982, le parachutage du gastro-touristique à l’étoilé « GILL » dirigé par Gilles TOURNADRE, aujourd’hui double étoilé, fut rude. « Grosse claque, la révolution rouennaise : utilisation des herbes, de la coriandre, du basilic, liaisons au beurre, turbinage des glaces au moment, cuisson minute. Un très grand Monsieur avec ses angoisses de puriste ». Notre préposé aux issues, qu’il ne prise guère, apprend rigueur et précision, structure et fonction avant que d’aborder le garde-manger.



En 1984, il rejoint un triple étoilé rémois, paquebot historique, Gérard BOYER : machinerie dominicale, bal des pâtissiers sous la houlette sévère de Gaston BOYER. « Le respect dans le labeur ». Celui qui inaugura son premier havre à Caudebec-en-Caux poursuit son dialogue souterrain avec ses maîtres. « Avec le recul, on se prend pour Saint-Exupéry. Je ne savais rien faire mais aujourd’hui encore j’appelle trois fois par semaine Monsieur Pierre LEPATESOUR, celui qui me donna l’élan. Il a 75 ans ». Cette projection paternelle conjoint une technique de penchant, d’aménité et d’estime. Gilbert PLAISANCE, à Veules-Les-Roses, élève de Jacques MANIERE, pour une saison estivale, le surprend : « un bluff de la mémoire gustative et olfactive avec une façon de naviguer à vue ».



L’ultrasensible pudique se souvient du merveilleux Alain CHAPEL : « cuisine au-delà de la recette ». Entre 2000 et 2007, dans l’ancienne maison d’Armand SALACROU, à la « Villa du Havre », notre Chef de cuisine, porte haut et loin son étoile jusque dans « la mise en scène parfois perdue dans le sorbet au foie gras ». « Un manque cruel de toucher et de transformation du produit » surgit. Virage à 40 ans, l’âge de la sagesse, le besoin de calmer le je. « Contre la cuisine moléculaire, contre le théâtre, retour au concret ». Chez lui, dans ce centre-ville du Havre conçu par le premier maître du béton armé, le français d’origine belge, Auguste Perret, notre fervent écorché vif ébloui par l’urbanité romaine puise son énergie et son imaginaire dans la géographie suave des paysages culinaires alentours : « les coquilles Saint-Jacques éblouissantes de la Baie de Seine, la pêche fabuleuse de nos côtes, les légumes radieux du cotentin, ses vieilles dames qui jardinent leurs asperges et la carotte de Créances, les huitres iodées, la moule de bouchot, notre terre à viande avec son cochon de Bayeux ».



« Je veux aller au bateau, je veux parler avec le pêcheur ». Evanescente et clémente, affable de bonté aboutée sur la profondeur de la matière, toute en rotondité, la manière de notre mélancolique de l’allant sculpte une chaleur. Sa complexité assurée résulte de jeux d’altérité, de rencontres miroitantes, de scintillements ordonnés. Discret entêté, Jean-Luc TARTARIN, en apnée sub marine, esquisse une approche de la pureté, nous projette en son émoi. Des jus réduits, presque « demi-glace », une féminité d’amours contrastées, des strates contrapunctiques loin du braisé, des secrets délivrés dans le murmure de la pudeur composent une monstration, jamais de démonstration.



La simplicité ne relève nullement du simple mais bien plutôt de « la rencontre des gamins qui se régalent ». Parfois, il rêve d’une épure, encore et toujours plus loin : « un poisson, un jus, un légume ». Cet angoissé du bien faire et du faire bien ne refuse jamais la fragilité de l’assise. Il recherche l’équilibre harmonique de la justesse qui traverse le réel. Ses coctions structurées sur le fil du calme voltigeur dans l’hypra contemporain d’un quartier ombragé par un petit coin de verdure, dévoilent la délicatesse d’une tendresse, des tableaux de mémoire, les chuchotements intimes d’un façonnage allégorique.



Dans son « fonctionnement inexplicable », en période de tourbillons intérieurs, il se réfugie à Blainville, pour gouter des coques chez Philippe HARDY, au Mascaret, pour des ballades au bord de la mer. Notre arpenteur des mielles, ces collines de sable voisines du rivage, composées d’alluvions jouissant de la douceur marine des embruns, notre conceptuel des gustations matinales s’essaie au montage à rebours du tissage empirique. « Le produit, dans la densité de sa texture, provient ». Jean-Luc TARTARIN déjoue les reliefs réceptifs des palais. Embrasé par son temps, gouteur nomade attaché à son paysage marin, il diagonalise l’actualité de notre présent dans la surprise de la présence : « cuisiner c’est comprendre ». L’insomnie trouble ses nuits à fleur de peau pour méditer sur une verticalité, une articulation de la transition.



Interrogation sur les véhicules topologiques, le passage de l’angle du doute dessine, dans le froissement complice de l’air, le mouvement d’un ciel clandestin. Notre joyeux empathique glisse le gourmet concentré et attentif dans une ontologie du partage sage, la méticulosité translucide des irrépréhensibles traversées. Cette nuit intime du large parée de jardins intérieurs maritimes trame l’acidité et l’amertume en personnalité culinaire. Fuyant le sucré, Jean-Luc TARTARIN noue, dès l’enfance, une relation nodale avec les fruits : « Je connais toutes les variétés de pommes, la fraise, les poires, les groseilles, les framboises. Les mûres de l’enfance, sur les bords de la route des fruits, burlat et bigarreau ».



Cuisinier d’une maison de famille, un doux atelier d’amitié, notre humain éminemment attendrissant, engagé dans l’éducation, ne craint pas l’erreur. « Je ne peux pas faire ce que je n’aime pas ». Au bel horizon ancré dans son possible acmé correspondent une invisibilité de la prégnance, un dialogue avec l’Orient, une attache délicate entre le limon et l’iode, la polarité cisalpine d’une manière de fragments de discours amoureux en forme de scrupule intime, une discrétion éclatante.



Transcendance normande, alacrité havraise, architecture de la texture, ferveur empathique pour le monde liquide convoquent un sentiment d’apesanteur habité par une ultime netteté sensible. Jean-Luc TARTARIN, à la tombée de la nuit, précise et perpétue : « La Table est une Fête ».
 

JEAN LUC TARTARIN

Le chef doublement étoilé Jean Luc Tartarin reçoit les gastronomes dans un restaurant situé au coeur du quartier Auguste Perret. Selon la saison la...

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