PORTRAIT DE CHEF
Frank RENIMEL

Par Fabien Nègre

Ardent crucifargardien à la prunelle claire émeraude, allègre fervent adoubé par sa mie Isabelle, dans un corps de ferme extrême contemporain au faîte de la campagne aurevilloise, Frank RENIMEL exhausse les enluminures des douces salinités, la sensualité frémissante des eurythmies d’humus maritimes.

«Au terroir en or où il fait bon vivre» peuplé de domaines et châteaux, le funambule terrien décalé, "EN MARGE" jamais marginal, surprend la nouvelle donne délectable par des exercices d’improvisation agencées et oxygénés qui nous hantent longtemps après.

Le 13 mars 1976, le bain délivre le baby. Une famille absorbée par la gourmandise : «folie» polymorphe. Le fondateur, reçu à l’Ecole Hôtelière sans exercer, orchestre des oblongs déjeuners dominicaux. L’affaire emporte tout et tous, en tous lieux, en toutes occurrences : dîners de Noël monumentaux composés de cinquante convives pour un «complet», des heures apéritives à la pénultième mignardise sertie, la tradition des beaux produits sur les marchés «Victor HUGO» ou Muret. La cadette, aujourd’hui diététicienne, engage «la guerre des confitures». Son frangin luttait avec la règle du «tant pour tant». A 8 ans, le lutin roule sa semoule, capté par le sucre. L’enfant rondouillard s’entiche des donzelles vanille et chocolat.

«Prendre son plaisir dans la gourmandise». A 14 ans, le gamin malin établit, en solitaire, son dîner d’anniversaire, à la stupéfaction de ses proches : volaille farcie, pièce montée à l’ancienne. «Mon grand-père maternel décède le lendemain de mon entrée au lycée hôtelier». A 15 ans, le «bon élève branleur» engage son Lycée Hôtelier, culbuté par son paternel, démarre fort chez les frères POURCEL qui lui enseignent «technique et dureté». Accélération et vitesse conjuguées, précocité et action emportées cèlent toute la courbe de vie de l’ahurissant « artiste ». «Naturellement, je ne réfléchis pas, j’agis». La rencontre de son épouse Isabelle, à la maternelle, à 3 ans, «je vous la laisse, un jour, elle sera à moi», la suppression énigmatique de la lettre « c » dans son nom de baptême, le propulsent, d’emblée, en original néanmoins draconien, transparent et proche dans un rare sentiment de simple humanité.

«Il existe un fil à ne pas dépasser». Une ligne extraordinaire de puissants cuisiniers (Bernard COUSSAU au «Relais de la Poste», Christian WILLER période LEURANGUER à Cannes) calmera le «turbulent rebelle, en marge». Dans l’âpreté des infinies journées, l’adolescent timide, sans cesse sur la réserve, entrevoit la «révélation du métier» grâce au sémillant Maître Michel GUERARD. «Un caractère, une équipe soudée qui fêtait sa java chaque soir. Bacchantes et Harley-Davidson». L’atmosphère de la charge accroche. Dominique TOULOUSY, lui professe la transmission invisible de la matérialité du produit. En 2000, il pétrira le pain de son dîner de mariage à quatre mains avec le chef des «Jardins de l’Opéra». La grandeur de l’ombre portée des précepteurs canalise : passion, délégation, confiance.

L’époque surannée, de larmes et de fureurs, de cris et de bruissements, épargne le temps perdu. Ritournelle différentielle, émulation enchantée, bouleversements de soi, autant d’orientations qui allumeront, en 2007, le premier restaurant modeste «En Marge», rue Mage, insérez « R » comme RENIMEL. «Accueillir à bras ouverts dans notre salon, rompre avec tous les codes, le client n’est pas Roi ni le Roi». Réveil du paysage culinaire. A 31 ans, l’étoilé du «Relais de Pigasse» à 21, attise la braise gustative du vieux Toulouse. Dans les frontières abolies de sa tradition ingénieuse, l’homme d’Isabelle débourre : «Sans question, j’avance. Pas de réflexions, des clics, des déclics. Je voulais déjà une étoile à mon entrée au Lycée hôtelier».

La profondeur spéculaire du mouvement dans le nomadisme d’une contrée singularise : maturité enchâssant le risque, continuités du bifide égalitaire. Autorité et émancipation, les quatre lentes années de prolégomènes au projet délirant renforcèrent l’amour de l’Autre et des Autres. L’entrepreneur d’une modernité originale avoue : «je fais de la cuisine traditionnelle au travers des mélanges de saveurs».

Le nouveau lieu majestueux, à l’écart de Toulouse, présente une transformation, la métamorphose d’une stylisation. «Voir plus grand». Visée et vision, topos respiré et inspiré par une rencontre aimante et aimantée, «oxygène, loin de l’oppression», la ferme high-tech pense «des fondations profondes pour demeurer. Découvrir, ouvrir les cuisines en transparence».

Bien loin des vogues molles et des vagues folles, le technicien de la «transe», essaie des créations de micro mondes d’audace dressée, des vibrations réglées dans un délire prouvé. Sur sa terre, les intensités entières luisent. «Je joue avec mon cœur et mes tripes, je ne goute jamais le plat entier». Dessins puis desseins. Prise, emprise, surprise mentales. «Je ne réfléchis pas à la cuisine dès que je sors de ma cuisine». En purs artisans d’embardées limpides, à 37 ans tous deux, ils tracent à fond : «trois enfants, le tout ou rien, l’excès passionnel». Cette radicalité de l’exigence n’omet pas la décontraction des éclats. «Demain, l’expérience du moment du bonheur».

Sucré/salé, terre/mer, nudité de la truffe, distance intime de la subversion : submersion effrontée sans les méandres de la palissade dans l’ampleur de l’essor. La folie préexistait, brasier du saut. Les paris de la hauteur s’accomplissent dans le paradoxe exaltant : escaliers de l’obscurité, troubles de la ferveur. Six années de travail admirent de prendre la mesure de l’ampleur d’un panorama. Concrétisations de la concrétion. «Nous désirons l’assise, nous sommes des terriers». L’esprit de l’espace dialogue avec l’espace des esprits dans cette campagne céleste. Un terroir précède un territoire.

Avec le prélude de la partance se lève une cuisine d’amarrage, dans la continuité de l’aboutissement, la volonté irrépressible d’un «début de vie».

L’Épochè de l’époque enveloppe une raison du monde dans une perspective : tripale, vibrationnelle, transcendante. Précoce, alerte, en marche, «En Marge» dévoile les éléments intensifs d’un courage. «Le plat ne tient jamais debout sinon dans l’éphémère du dressage, dans une humeur qui dure». Frank RENIMEL présente un lien artistique aux nourritures. Par un mutisme d’égarement lucide, le derviche détourneur, autiste dans son intériorité, pratique l’offrande du chant. Il se souvient d’une «reprise de volée dans un trancheur, dans la mare de sang».

Aujourd’hui, l’homme aux costumes multicolores et aux longs cheveux blonds frisés touffus, avance des desserts salés : «J’aime quand la pâtisserie s’invite en cuisine ou quand les légumes passent dans les architectures sucrées».

Ses rêveries de promeneur solidaire halluciné se nomment «défi d’un artichaut confit à l’orange», «pain-papa tomate» pour ses enfants, Julia, Clara et Arthur qui provoquent des thématiques où la préciosité de la truffe envoute la gouteuse matière de sa générosité. A crue, elle arrive avec des émulsions, dans la splendeur de sa retenue. Ce lien animal à la Tuber melanosporum ouvre un agrément instinctuel intarissable de terrestre qui rapproche des sublimes techno-émotions des Frères ROCA ou de la faconde magnanime de Gilles GOUJON. La plongée dans une trouée spectaculaire requiert un style de traversée décomplexée. Le haut perché d’AUREVILLE préserve la beauté de son enfance face au monde, l’équilibre exemplaire de sa famille.

«Je ne sais pas faire autre chose que ce que je fais». La blanquette transfigurée éclate dans l’énergie planante d’une joie tellurienne du savoir lâcher-prise. L’œuf au plat humé, ressenti, senti puis «explosé» indique un «toujours transcender». L’affiche existe un mois seulement, fusionnelle de la blanche carte. Locution inachevée d’une bibliothèque gustative : «Canard, violette, café». Sa dulcinée de sourire : «Il ne sait pas se manger mais quand il goute l’envol est fulgurant».

Le talentueux sybarite, coauteur de la saveur, empoignera une interprétation des racines, à la racine : «Eaunes». Les RENIMEL, avec leur Hôtel éco-logique à deux coudées de leur bâtisse, réinventent une métaphorique de la vie de village, loin des ennuis et des soucis, pour les enfants et leur avenir.

Cette innocence du destin éloigne la destinée, ce jaillissement du commencement annihile l’origine. Cette fratrie sans attache, ce «couple famille» nous montre les mouvements sensibles d’un locus solus, la tessiture d’une «folie permanente dont nous sortons toujours indemnes». Faire le tour du monde sur place du chez soi et de l’en soi. Par la difficile mais immense liberté, ils s’affranchissent de toutes les contraintes qu’ils s’imposent par les hasards contrapunctiques de la fission érotique.

Basculements de vie successifs, ruptures et reprises, globetrotters de l’Ici enjoués de l’Ailleurs.

La poêlée de pibales, suave, électrise de sa fulmination presque charnelle le tartare de Saint-Jacques, jubilatoire à souhait, crème de Topinambour, émulsion de volaille à la truffe. Le riz croustillant à l’encre de seiche et langoustines quasi nippon, pressé de carottes et barde de Turbo nous emporte bien loin à l’image de ces lentilles et citrons confits, caviar des Pyrénées; pigeon artichaut abatis et crème de cresson. Points d’orgue d’altérité qui nous transportent soudain "ici et maintenant" : ananas huile d’Argan et gelée Tagada; Ravioles chocolat. Encore lacanien.

> En Marge Frank Renimel
1204, Route de Lacroix Falgarde - 31320 Aureville - Tel : 05 61 53 07 24
 

EN MARGE - FRANK RENIMEL

Le chef Frank Renimel a déménagé en septembre 2012 son restaurant étoilé de Toulouse pour poser son nouveau restaurant...

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