GUY MARTIN : LE DERNIER SUBLIME CLASSIQUE

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Guy Martin : Le dernier Sublime Classique.
Par Fabien Nègre

Éminent classique de la postmodernité du 17 rue de Beaujolais, flamboyant prince de l’émotion festive, musicien du registre par excellence, Guy MARTIN, affectionne le luxe mais ne poursuit pas la mode, en vogue sans faire de vague. VEFOUR un jour, VEFOUR pour toujours. Quand le bateau-monde tangue, quand la superposition stochastique le dispute à l’assemblage houleux, les plus fins dîneurs du globe visent les valeurs du «lièvre à la royale» et les troubles du «pigeon farci».

Cet art de l’éminence qui invente le tournis du classicisme supérieur à venir réclame une véritable connaissance articulée à savoir une épistémologie. «J’aime à déguster une belle volaille, un gratin dauphinois, des textures, des saveurs». Dans le sublime, l’emballement du goût dégonde, l’enthousiasme envahit en flottements d’euphorie, la mâche abonde, la structure olfactive déraille dans un illimité, une pénombre par où l’effroi excite l’éclat. Tourment de suavité sans cesse rafraichie par la sélectivité de l’éternel retour, les classiques du Grand Véfour cristallisent des «chênes solitaires dans un bois sacré» pour reprendre l’analytique kantienne des «Observations sur les sentiments du Beau et du Sublime» (1764).

Le «Pigeon Prince Rainier III , contre toute attente, concentre un ambitieux hommage. «En 1991, à mon arrivée à Paris, je souhaitais réhabiliter les grands plats classiques de Raymond OLIVER, au GRAND VEFOUR, durant 37 ans. Paul BOCUSE me confie : «Sans Raymond OLIVER, nous ne serions pas là. Tu es son digne successeur»». Cette recette, sculptée par l’histoire monégasque exclusive, se conte tel un mirage lacrymal. L’aristocratique athlétique chuchote : «désosser un beau pigeon d’une belle provenance, le farcir d’une truffe et de foie gras, le reconstituer puis le cuire tout doucement en cocotte».

Les secrets du cavalier hobereau de la «poitrine de poularde de Bresse, cerfeuil tubéreux, jus rehaussé au poivre Timut» se murmurent tantôt dans son «Parmentier de queue de bœuf». Lors de son pensionnat d’enfance, le savoyard gentleman abhorrait le destin de table de ce gratin oblong. «Je voulais, en rébellion contre l’école, ennoblir le hachis. Une cuisson lente de pommes de terre, dans le papier aluminium et le gros sel, un immense travail sur les queues de bœuf, sur la truffe et son jus».

Cette sensualité charnelle de l’ivresse fait retour dans la texture nipponne de Gyoza des illustres «Ravioles de foie gras, crème foisonnée truffée». Le «french paradox» ensevelit de joie. La «Palombe façon bécasse» détourne le volatile interdit, entrailles mêlées aux confins du giboyeux dans des envolées tout à la fois féminines et viriles. La fièvre de la part d’ombre bataillenne en forme d’évergétisme soulève la cape vespérale : «Lièvre à la Royale». Ampleur infinie en fin bec de cette étrange réduction crépusculaire qui perdure 48 heures escortée de 72 heures de marinade pour une sauce à la texture volcanique.
Méditons Pascal : «Quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui ; l’univers n’en sait rien» B 347. Guy MARTIN réinterprète la geste ancestrale des transmissions patrimoniales. Le classique artiste oblige son ascendance. «Il y a quelques années, je faisais venir un cochon entier puis questionnais mes apprentis : comment le traiter ? Où sont les avants ?».

La cuisine procède par involutions telluriques, fermentations célestes sans renier la périodisation, la douce transformation de la matière première. «Je respecte la personne qui élève le produit, je le fais voyager dans mes recettes». Le présentateur de l’émission «Epicerie Fine» (TV5 Monde), ange gardien de la «lentille blonde de Saint-Flour», aime les régions de France, leurs ancrages, leurs emblèmes. Sans apriori, sa seule loi tient dans le plaisir. «Vaches, veaux, volailles s’élèvent de mieux en mieux. On matraque les paysans, je voudrais les défendre. Nous sommes carnivores, nous n’avons ni un estomac, ni une dentition de ruminant».

Les médecins diététiciens le clament : «Eclatons nous, mangeons de tout en quantité raisonnable et parfois explosons nous !». Le premier cuisinier signataire d’une charte sur les œufs biologiques devance par prévenance : «tout le monde ne peut pas non plus manger les meilleurs produits qui demeurent les plus chers tout le temps». «Est sublime ce en comparaison de quoi tout le reste est petit» (§ 25, CFJ). La haute chaire classique érige un dernier bastion, une conceptualisation pragmatique dans une rythmique raisonnée des saisons, une vision durable des terroirs.

«Joie du cuisinier, jouissance de manger». Au vent de l’Autre, amoureux de l’altérité, jamais sectaire, Guy MARTIN exulte dans ce classicisme majuscule. «La cuisine, comme la grande musique, exige une initiation dès l’enfance». Pour ce, le sapide infini convoque une diversité démesurée qui espère de nouveaux repères. «Certains amis m’avouent ne pas avoir le palais assez fin pour apprécier. Le goût est une éducation, un exercice».

Au vrai, seul le colossal souffle de la liberté des sensations gustatives et du choix désaliéné de l’alimentation anticipe les pathologies. «Je ne prends aucun médicament traditionnel. Je me soigne par les pierres, les manipulations naturelles». Le créateur de la «crème brûlée aux artichauts, légumes confits, sorbet aux amandes amères» ou du «palet noisette et chocolat au lait, glace caramel brun et prise de sel de Guérande» rêve soudain d’ilang-ilang, de fragrances de rose ou de curcuma.

Le «Roi Soleil» du VEFOUR distingue «l’homme idéal», entre clin d’œil de fleur d’oranger et lumière de cristal angélique. «J’aime travailler dans le luxe, avec des personnes qui créent de la beauté». Ultime et sublime.

Le Grand Véfour
17, rue Beaujolais - 75001 Paris
Tel : 01 42 96 56 27

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