LAURENT CAZOTTES : DISTILLATEUR PAYSAN - PAR FABIEN NÈGRE

Dans la hotte de Laurent CAZOTTES luisent des nuées de furets qui franchissent la campagne végétale à la vélocité de l’illumination dans l’hivernale nuit tarnaise.
Depuis 1998, ce sensible seigneur au domaine du « Carlus », à Villeneuve-sur-Vère, entre Albi, Cordes sur Ciel et Gaillac, agite le métier d’artisan distillateur par son abord vigneron des eaux de vie. Le barbu gaillard hors normes, roi des marchés, créateur de liqueur à sa mesure, négociant en vins naturels et vins rares en compagnie de son attentive épouse Marina, nous plonge aux confins de la fugace consistance de la goutte qu’éclaire l’évidence perdue du fruit.

A 77 ans, au cri du coq et de la galline, dans la brume iphigénique, Jean CAZOTTES Père, ancien bouilleur de cru ambulant, d’une rare malice hypnotique, émotion contenue dans ses yeux émeraude, épie l’Alambic adossé à sa maison. Durant quarante ans, ce fier paysan affirmé, en éclair sec, vadrouillait dans les campagnes, de places de village en hameaux fleuris, pour fabriquer des eaux de vie à façon, faire bouillir des fruits fermentés. A Carmaux, le 18 février 1975, l’homme qui fait macérer les pétales de Sureau, déboule. Une enfance de délectation spiritueuse albigeoise jusqu’en terminale au lycée agricole Charlemagne de Carcassonne. En 1993, le bac professionnel viticulture œnologie choit dans la sacoche. Pas de temps mort, aucune errance. Notre partisan de la cuvée «Rouge-Gorge» s’envole en BTS éponyme validé à Bordeaux.

Maxime MAGNON, le vigneron, Arnaud COMBIER, le mâconnais, jouent dans la mêlée. A 19 ans, en 1994, un stage de quelques mois en Californie, à Shawky Valley, arrime le voyage technologique du vin malgré l’intense attrait du ceps. A l’ESSICA de Bordeaux, un professeur d’éco-écolo pubescent, à la rotondité affable, l’envoute. La formation œnologique ardue du raisin et de la vigne, la propédeutique viticole n’élident pas la fibre humaine du négoce anglophile. En quatre ans, en 1996, notre héraut du passerillage raisonné sur claie boucle son tour. Une amie bien intentionnée lui présente Eric VIVEN.

Propriétaire d’échoppes dans le magnifique village de Saint Cirq Lapopie, frais émoulu de Cambridge, cet habile commerçant qui porte une ample vision de la gastronomie et de la vie, enseigne les vertus de l’échange gratifié à notre franc-tireur de l’eau de coing sauvage : foie gras au mètre, Musée du vin, ferme gourmande. Cet heureux quinquennat épuise toute velléité salariale, attise la soif d’indépendance.
En 1998, notre esprit libre des esprits sédentarise la distillerie artisanale familiale. Cette tentative s’inscrit dans le désir de continuité mémorielle paternelle, «L’Alambic de Papa», mais également dans «le souci de façonner un outil de production dans la sphère gastronomique». Là, préexistaient les moyens d’une production propre et pure dans une ferme agricole sans animaux à l’aide d’un savoir-faire hérité.

L’urgence de cette filiation coulera dix ans. Auprès de son père, notre agriculteur biologique de son paysage écoute «un ordre du temps, une logique des choses afin de construire une histoire». Première rupture unique en France et sans doute en Europe : «produire une eau de vie de poire William pure et propre. Surmûries pendant plus d’un mois, nos «poires williams» sont sélectionnées, triées quotidiennement afin de permettre une meilleure concentration des sucres et des arômes. Ce phénomène se nomme passerillage. Nous éliminons manuellement les pédoncules, les calices, les pépins, les escarres, pour préserver la saveur de la poire. Discernement et propreté riment lors du foulage afin de démarrer promptement la fermentation» .

Sans adjonctions artificielles, la métamorphose des arômes et des sucres s’accomplit six semaines durant. L’esprit libre, le poiré devient de qualité. Notre savoir-faire conjugué à l’alambic achève nos ouvrages pour donner l’esprit des poires williams ». Cette haute idée « gastro-logique » du distillat bouscule les palais somnolents. « Un distillateur sans poire, une nuit sans étoile ». L’exigence de sur-maturité naturelle des fruits, l’action d’évincer le calice pour écarter l’herbacé, enfantent des eaux de vie de cépages à l’image du vin. Cette appréhension compréhensive du terroir impose des mono cépages, « une lucidité invivable ». En 1999, notre jeune cultivateur surnaturel (400 poiriers, 100 pruniers de Reine Claude Dorée et des vignes de Mauzac Rose, de Prunelart et de Folle Noire) rencontre l’un des grands vignerons de l’appellation : le goguenard Bernard PLAGEOLES.

Depuis 2000 ans, le vignoble de Gaillac donne naissance à des vins issus des cépages anciens gaillacois. L’aimable Famille PLAGEOLES (Myriam, Robert, Bernard) au Domaine des TRES CANTOUS (84140 Cahuzac-sur-vère), pionnière dans la recherche ampélographique et historique depuis vingt ans, a largement contribué à la renaissance de ses crus (cf. Dossier in le Rouge & le Blanc, n°). Les vinifications traditionnelles ou spéciales (vin de voile*) associée à la recherche de l’adéquation parfaite cépage-terroir-climatologie-vigneron, montre un exemple insécable dans le Sud-Ouest. A dessein, renaissent les vins des cépages Mauzacs qui en comportent sept (vert, roux, rose, gris, jaune, noir..) et plus récemment l’Ondenc décliné en sec, doux et Vin d’Autan*. En rouge, on notera le Duras, expression profonde du climat, ou le Prunelart. Dans son « Dictionnaire des noms de Cépages de France » (Paris, CNRS Editions, 2008, p.152), Pierre REZEAU insiste sur Robert PLAGEOLES, « jardinier dans le paradis terrestre, nul autre ne prête une telle attention au végétal ».

En 2000, à « L’Eté de Vaour», sa future épouse, Marina, le conquiert sans hilarité. Notre alchimiste qui transforme le Mauzac rose en été indien et la folle noire en grain de folie, relax généreux, calme partageux, dans son écosystème, tisse la capillarité réticulaire des amitiés solidaires. La construction de son identité passe par des rencontres décisives avec des « hommes révoltés » qui désirent toujours en découdre pour le meilleur mais aussi les copains de « Nature et Progrès » (Mathieu COSSE, Elian DA ROS, Sergio CALDERON, talentueux sommelier de Michel BRAS). Notre adhérent à « A BISTO DE NAS », une association de huit vignerons du Sud-Ouest qui promeut « la continuité de l’aventure humaine par la qualité et la sincérité du raisin », nourri de ces êtres enrichissants et bouleversants, désire les ravir.

La constellation intime du propriétaire du « Tonneau des Saveurs », vitrine des vins de copains et des chocolats d’amis, déploie deux autres novas restaurant-bistrot-cave : « Le Pré en Bulle » (Albi) et « Vigne en Foule » (Gaillac). Au vrai, l’orchestrateur des substances de son jardin, nous émeut par le trauma d’une histoire sans vigne, arrachées dans l’enfance. Par l’exemplarité d’une filiation, notre bouilleur du cru dévoile la rencontre éclatante de la tendresse et de la pudeur qui officient sans cesse à sublimer la munificence du travail du père. «Nous, les paysans de ferme végétale, nous ne créons qu’un beau produit artisanal avec des produits agricoles du pays qui sortent de la terre. Agri-culteurs».

Benoist REY, dans son drolatique opus érudit, «Mieux vaut boire du rouge que broyer du noir» (Editions Libertaires, 2011, p.55), définit bien l’humilité flâneuse de notre certifié bio en 2004 : «Le grand Laurent CAZOTTES tire des eaux-de-vie à boire à genoux. Grâce à une machine d’un autre siècle, digne du biglotron du regretté Pierre DAC. Il prend son temps. Ses alcools et ses liqueurs prennent vie lentement. Il est bon de rêver, au rythme de l’alambic. Au goutte à goutte de la vie». Le terroir traduit le grain du pays. Appliquer les techniques de la viticulture au fruit, poursuivre un travail de vigneron pour inventer des eaux de vie de fruits, importer ces techniques dans sa propre pratique : un parcours déroutant.

Ce procédé unique séduit les chefs pointilleux pour des liqueurs vouées à leurs personnalités : Michel BRAS, Inaki AIZPITARTE. Là se trame le «style CAZOTTES» : la pure proximité du fruit, l’intention attentionnée du respect de la principale qualité aromatique variétale, la chair et la peau. La signature : une dimension structurale de la liqueur.
Les élixirs s’avèrent tantôt acidulés, texturaux, amers, sucrés voire même salins dans la liqueur de tomate dont Patrice GELBART (Restaurant « Youpi & Voilà », Paris) tomba amoureux (le sel minéral du terroir contient 90% de calcaire actif). Des eaux de vie et des liqueurs de précision : myrtilles sauvages (ONF de Castillon-en-Couserans), cédrat (de Michel BACHES), framboise acidulée.

«Je respecte le produit jusque dans son terroir. Sommeliers et cuisiniers sont les métiers qui importent le plus au monde car ils subliment le gout des choses solides et liquides. Je crée des spécialités gastronomiques par un style de distillation qui envisage le cœur du fruit. Je m’applique à la propreté et la pureté». Dans cette forme d’excellence, les savoir-faire s’épousent. «Je fais des liqueurs de mamies de façon artisanale».
Notre chef d’orchestre des « chorales de dame-jeanne » (cf. Sylvie AUGEREAU in Carnet de Vigne OMNIVORE 2ème cuvée, Paris, Hachette Pratique, 2009, p.238), notre chercheur du chemin du fruit aiguise ses fermentations, ses oxydations et ses élevages. Au bout de sept années, il guette ses eaux de vie millésimées. L’onctueux, le fondu se nouent avec la sculpture du temps.
Seule la science de la patience abonde des effets notables. «Brut de décoffrage, par passion du raisin, je colle à la matière des vignerons. La biodynamie participe d’un mouvement irréversible, le consommateur ne commet plus d’erreur. J’invite ceux qui récusent mon style à venir épépiner 4.000 poires une par une. Sur 6 tonnes et demi de Reine Claude, 350.000 noyaux un par un à la main. J’étiquette 9.000 flacons par an». Par-delà, s’installe, dans la verdure albigeoise, une rare joie amicale entre tous ces petits producteurs paysans, qui composent une vision holistique des actions politiques. Cette entraide d’admirables équipiers, tous coudes serrés, ces vies exemplaires soudées à la terre forcent le respect et l’enthousiasme dans le serein partage des savoirs.

«Je ne crée pas des liqueurs pour saouler la planète. La logique et le bon sens prévalent». Notre fin limier inexhaustible surligne la finesse ductile d’une eau de vie de vin, la typicité incommensurable d’un marc non pressé dans un souci permanent d’équilibre pour que le solvant alcoolique maintiennent l’aromatique. Une poire pour la vraie soif. A la douceur du vieillissement répond la gradation des nuances de titrage. Notre «vigneron-distillateur-négociant» extrait des marcs ou eaux de vie sur mesure : Marc de Mémé pour GRAMENON, Marc des vignes préphylloxériques de Christine DUPUY à Madiran, Marc de Bertrand JOUSSET à Montlouis sur Loire, Eau de vie de vin de Pascal VERHAEGHE au Château du Cèdre, «La blanche d’Autan» chez PLAGEOLES, l’ Eau de vie de Negrette de Marc PENAVAYRE, l’ eau de vie de vin de Mauzac chez Michel ISSALY. Ces deux vignerons particulièrement attachants méritent un dernier éclaircissement.

Sur la commune de Vacquiers (31340), l’empathique viticulteur, ambassadeur engagé, ingénieur agronome confirmé, Marc PENAVAYRE, depuis 1991, dirige le Château PLAISANCE (Fronton AOC). L’originalité de ce domaine tient dans la culture d’un antique cépage nommé NEGRETTE. A débourrement précoce, coloré et peu acide, elle possède une palette aromatique complexe (violette, fruits noirs, réglisse, zan) qui donne des vins qui «font parler la terre, 100% jus de raisin ».

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