PORTRAIT DE CHEF
Yuichiro AKIYOSHI

Par Fabien Nègre
  • Yuichiro AKIYOSHI

Samouraï chakaiseki à la flamboyante route, dans sa petite maison de bois monacale, Yuichiro AKIYOSHI nous éveille à l’éblouissante intériorité du zen de la cérémonie du thé par un art culinaire pour le corps et l’esprit qui approche les sommets dans le plus grand calme.        

A Iizuka, petite ville dans la préfecture de Fukuoka sur l’île de Kyūshū, au sud du Japon, le 31 août 1984, perle un enfançon un tantinet empressé curieux des merveilles du monde. La mère sévère lutte, dès l’abord, pour discipliner le bambin et réprimer l’impatient. Chez ses grands-parents agriculteurs et surtout riziculteurs, l’enfant découvre la fraîcheur des concombres. La mère, fine marmitonne, concocte des « plats délicieux ». Avec son père, cuisinier, il observe les gestes du savoir de la transformation.
 
Au lycée, le brillant élève exonéré des frais de scolarité, étudie les sciences et les mathématiques. Au grand dam de ses professeurs, le majeur ne rentre pas à l’Université mais file à Kyoto pour suivre une formation culinaire. Le véloce abandonne aussitôt sa scolarité pour suivre la plus haute école, celle du travail du feu et de la main au réputé restaurant Hyotei***. Dans cet établissement unique au Japon et sans doute au monde, la bâtisse principale couronnée d’un toit en bardeaux et d’un salon de thé, Kuzuya, témoigne de plus de quatre siècles d'histoire.
 
Ce grand restaurant appartient à la même famille depuis quinze générations mais le plus rare tient dans l’approche où ne règne aucun dogme. Le dashi se concocte au thon séché d’après le style d’un ancien chef, Eiichi TAKAHASHI : « Dix années de ma vie, trésors de mon existence durant lesquels j’ai appris des plats magnifiques, rencontré des gens merveilleux, compris une architecture, une histoire, l’esprit de la cérémonie du thé ». Dans cet établissement prestigieux, il prépare des produits hors-normes tels les ormeaux, daurades et autres oursins. Il invente une sauce miso hollandaise aux coquillages.
 
Les clients de très haut niveau recherchaient l’expérience et l’esprit de la nature. A dessein, il architecture un menu aux asperges de 10 plats, crues, cuites ou douces. Il s’initie aux variétés de légumes et aux ingrédients saisonniers : « La cuisine japonaise relève d’une affaire de sensations, de plats qui incarnent des saisons ». A la demande de certains clients prestigieux, il se transforme alors en chef particulier nomade dans tout le Japon.   
 
Dès son arrivée à Paris, en 2019, il se plonge dans les livres de cuisine française qu’il admire, échange avec des chefs : « De nombreux maîtres me marquent : Eiichi TAKAHASHI, Hiroaki TOKUYAMA, Toshiyuki NAKAGAWA, Alain PASSARD; mes produits français préférés demeurent le pigeon, le bœuf, le homard, le fromage et les asperges ». Il cerne tôt la différence entre la gastronomie française et la cuisine nipponne mais désire partager sa culture de la cérémonie du thé hors de son pays : « La cérémonie du thé existe dans toutes les cultures au Japon. Dans le plus grand calme, le thé présentifie le sacré, le spirituel ».     
 
Le 24 janvier 2023, Misuzu et Yuichiro AKIYOSHI inaugurent CHAKAISEKI AKIYOSHI. Art majeur du moment, le Chakaiseki peint la quintessence de la culture japonaise : « servir avec son cœur, de cœur à cœur ». Le shintoïsme, philosophie de la gratitude, sagesse des moines zen, respecte l’origine au plus haut point. Dans cette reconnaissance de l’altérité, du respect de l’Autre, le thé se place au centre dans la maison et le jardin de thé, le plus haut niveau d’hospitalité. La culture du thé à l’ancrage ancestral divertit les invités, approfondit l’amitié au cours de l’échange. 
 
Au Japon, monde de spiritualité souvent fondé sur une communication non-verbale, manger résout des énigmes, devine des messages cachés. Le chakaiseki représente une philosophie esthétique orientée vers la beauté et la tranquillité, sans démonstration, sans superfétation. Il n’y a pas de théâtre mais seulement le goût originel et authentique. La cuisine chakaiseki accompagne la cérémonie du thé. Le mot « kaiseki »  s’origine dans le « zen ». Les moines en formation ne prenaient qu’un déjeuner. Pendant l’hiver, ils affrontaient le froid et la faim en chauffant une pierre, en l’enveloppant dans un tissu et en la plaçant contre leur poitrine.
 
Ces pierres chauffées nommées onjyaku ou yakuseki donnèrent naissance au mot « kaiseki » qui viendrait de l’acte de placer ces pierres (seki) sur sa poitrine (kai). Ensuite, les repas légers servis lors de la cérémonie du thé d’influence zen ont été appelés « kaiseki ». Ils servaient de coupe-faim comme le faisaient les pierres chaudes réchauffant l’estomac des moines en formation. En outre, boire du koicha, matcha particulièrement foncé voire opaque à jeun stimule trop, dégage une forte amertume qui altère le goût original. La cuisine kaiseki permet de mieux apprécier ce koicha.
 
Le prenant paysage culinaire aoûtien débute par un Kumidashi, thé vert infusé à froid composé de jeunes feuilles de la préfecture de Fukuoka. L’entrée en matière, le Meshi, présente un riz de Toyama, célèbre région productrice, cuisiné à l’instant de l’entrée des convives dans le restaurant. La coction à la vapeur avec les tomates du maître jardinier Asafumi YAMASHITA trouble par la douceur d’une minute de fraîcheur. Ce riz instantané presque al dente nous glisse dans une méditation abyssale sur le goût du silence.   
 
Le Shiru, soupe miso aux tempuras d’aubergines blanches, poivre vert japonais, shishito grillé et moutarde japonaise nous enveloppe dans le rythme de la saisonnalité et de la culture ancienne de la santé au Japon. En été, le miso rouge complète la teneur en sel lors même qu’en hiver, le miso blanc, doux et corsé, réchauffe le corps. Le Mukouzuke, un sashimi de bar, concombre mariné à l’aigre doux, gelée de prune Ume, wasabi de la préfecture de Shizuoka, démontre la maîtrise de la technique Arai par Yuichiro AKIYOSHI. Le sashimi plongé instantanément dans l’eau glacée rend la chair du poisson ferme et savoureuse.      
 
Sur l’Archipel aux 14 125 îles, les fruits de mer ultra frais et les poissons se caractérisent par une extraordinaire diversité. L’aemono avance une figue nappée d’une sidérante sauce tofu, graines de sésame. L’oshinogi renferme un onctueux potage de maïs à la japonaise. La dégustation principale, Nimonowan, s’élève encore avec un rouget au saké à la vapeur, aubergines grillées, julienne de poireaux. L’impeccable Yakimono, dorade royale grillée au charbon de bois, laitue marinée, feuilles de Shiso, nous emporte dans un onirisme de sensualité.
 
Le Takiawase, mélange de légumes estivaux composé de potiron, mini paprika, courgette, tomate, tsurumurasaki (épinards) dans une gelée d’eau de tomate, citron vert râpé étourdit avec sa touche de poivre vert (manganjitogarashi). Le Shizakana, sushi de maquereau norvégien grillé au charbon de bois, feuille de shiso, feuille de Nori, piment yuzu (Yuzu-Kosho) atteint l’acmé par le parfum de la chair du poisson bleuté, la texture du riz et la maîtrise du fumé.        
 
Le men-mono, udon minute entourées de tempura de salsifis, oignons verts et shichimi (épices japonaises) impressionne autant par la maîtrise absolue de la sucrosité du scorsonère que par le dosage des aromates. L’omogashi, délicieux gâteau roulé aux figues et pâte de sésame, réinterprète l’issue traditionnelle Murasame. L’ousu, thé matcha mousseux à la douce et légère amertume, provient de Koyamaen, très ancien magasin de thé de Kyoto.   
 
La magnificence des thés servis chez CHAKAISEKI AKIYOSHI mérite une mention spéciale. Le Kabuse-Cha de Kyoto aux feuilles recouvertes avant la cueillette, contient un umami puissant et doux, loin de l’amertume ou l’astringence habituelles. Le Tohobijin taïwanais, cousin du Oolong, s’épanouit dans des notes florales et fruitées qui s’équilibrent. Le Tekkannon semi-fermenté s’approche d’un frôlement herbacé tourbé. Le Genmai, mélange de thé vert et de riz grillé, vient de Kyto, dans la préfecture de Fukuoka. Les feuilles de thé se chauffent à feu vif alors que le riz se cuit à la vapeur puis se rôtit. Le thé au jasmin taiwanais dégage des fragrances envoûtantes.  
 
Les sakés sélectionnés s’imposent également par leur majesté. Le Nagai, de la préfecture de Gunma, Mizubasho, pétille au moment apéritif. Le Senkin (Tochigi), Omachi, junmai, de facture classique, enrobe de son onctuosité. L’Hirako (Miyagi), Hitakami Junmai, développe des notes de poires tapées et de litchis. Le Shimizu (Mie), Zaku, Junmai revient sur les fruits. Le Baba Sake Brewery (Saga), Nogomi, Junmai-Ginjo, clôt le repas de sa fine suavité balancée.    
 

CHAKAISEKI AKIYOSHI

Le restaurant Chakaiseki Akiyoshi est ouvert depuis la fin janvier 2023 en lieu et place de Justine et Camille. Le restaurant Chakaiseki Akiyoshi propose une...

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