A Groix, jaillit, le 10 juillet 1982, un ilien du pays, juste en face de Belle-Île-en-Mer. La grand-mère maternelle prépare au domicile tout autant que dans sa charge de vivandière. La mère accommode à la maison mais aussi dans son métier de cantinière. Le père, pêcheur professionnel en eau salée puis douce, ramène de miroitants poissons. Dans cette enfance choyée par les belles provenances, chaque année, son paternel prépare un cochon avec ses copains. Le loustic éprouve le sublime et délicieux effroi de la cérémonie du tue-cochon, les bruits et la fureur, les saucisses charnues et les boudins ventrus.
A 8 ans, un seul fumet trouble le gamin : le « sandre au beurre blanc de sa maman ». Le brochet des bords ligériens ou l’anguille agrémentent les déjeuners de fête dominicaux. Le petit qui navigue en scolarité classique insiste devant les fourneaux maternels : « j’ai toujours aimé faire à manger ». A 9 ans, il déclare à ses parents qu’il épousera une bien nommée gastronomie. Le préadolescent entame sa gamme au Jules Verne, à Nantes, pour valider un CAP et un BEP. Gilles Forget lui enseigne les poissons de rivière. Au Chanzy*, à Nantes, en 2000, il poursuit sa route enjouée avec Pascal Bureau.
L’année suivante, à Paris, la boussole s’affole dans un autre Jules Verne**, au sein de la Tour Eiffel, sous la gouverne du tempo ducassien d’un technicien hors-pair : Alain Reix. Au Fouquet's, le discret breton MOF1996 étoilé, Jean-Yves Leuranguer, dans le plus grand calme, professe au commis le vrai volume, -1200 couverts par jour-, et la direction d’un paquebot qui frise la marine marchande avec ses 50 chefs et ses 12 pâtissiers. De ces deux ambiances « à la dure », le novice conservera le sens de la rigueur et le souci de la fermeté.
De retour sur les bords de Loire, au magnifique Domaine de la Châtaigneraie, à Sucè-sur-Erdre, le chef de partie accoste chez un double étoilé modèle en son manoir aux vitraux bucoliques : Joseph Delphin. Les poissons de rivière prédominent là encore. Les cuisses de grenouille valsent avec le bœuf fermier : « j’ai un souvenir intense de l’agneau si persillé, bien élevé ». En 2003, chez Compas, le vététiste chevronné change de registre, sans complexe, pour voir un autre horizon. Chargé de l’organisation des repas de la direction de la Société Générale nantaise pendant cinq ans, il reçoit des animaux entiers à transformer.
Sans cesse en mouvement, en 2009, le skieur voyageur pousse sa curiosité vers une aventure utile à son arc : les saisons. D’abord aux Chalets privés Black & White Pearls, à Val d’Isère puis en Corse, au Bar-Plage, dans la baie de Santa Giulia, au sud de Porto-Vecchio, la clientèle cossue requiert l’accès à des produits d’exception dans le cadre d’une totale carte blanche. Le chanceux énergique passe, sur sa lancée, en 2011, une merveilleuse année dans les Maisons du prodigieux Michel Guérard, ami de ses beaux-parents : « Il aimait la mer et la tranquillité ».
Auprès de l’exemplaire second, Olivier Brulard à la discrétion rare, modestie personnifiée, MOF 1997, le stagiaire spécial absorbe la vision de la « cuisine minceur », un magnifique savoir de la saveur à La Ferme aux Grives, l’art culinaire suprême aux Prés d’Eugénie. A l’été 2010, face à la mer et aux éléments, l’amateur du tissu végétal thaïlandais arrive à l’Hôtel de la Plage, à Plonévez-Porzay, sur le beau rivage de Saint-Anne-La-Palud, aux côtés du chef de cuisine Mickael Renard, un rugbyman grand et sec qui épaulait jadis Bernard Loiseau.
En 2012, à la tête de la maison pour la quatrième génération, Charlotte et Yoann NOËL cultivent avec soin l’esprit familial des lieux. En 2015, Anne et Jean-Milliau LE COZ, heureux propriétaires de l’établissement, accueillent le couple avec joie, nomment leur gendre Chef titulaire du domaine réputé. En 2019, les NOËL reprennent officiellement l’Hôtel de la Plage, blotti dans la baie de Douarnenez, en face de Morgat, joli port de plaisance qui accueillit autrefois les Michelin et les Peugeot.
Dans ces paysages culinaires iodés, entre cochon fermier et agneau des près salés, coquillages et crustacés sur la grève enchâssés, le terre et mer relève du regard mais Yoann NOËL élabore des accords plus surprenants sur ce territoire déjà souvent frayés : « je fabrique mon propre boudin, petits pains et croustillants, que j’associe au pigeon de Plogonnec cuit sur coffre ».
Le cuisinier des algues en infusion et des poissons entiers, -Saint-Pierre, Barbue, Turbot de petit bateau-, maintient le spectacle de la découpe devant le client. Il se concentre sur ses extractions de coquillages, ses jus de carcasses qui évincent toute matière grasse : « la criste marine, la salicorne donnent de l’énergie acide aux sauces iodées ». L’homme au double titre, Chef et Directeur, qui n’aime rien tant que bichonner ses grosses langoustines du Guilvinec, possède le talent aérien du grammage, léger et élégant : « je ne veux pas altérer les palais. Mes sauces restent douces ».
Sa volaille de 100 jours, « une bête de plein air finie au lait », présente une maturité exceptionnelle, charnue et nacrée. La chance des fraises de Plougastel qui poussent encore en pleine terre. Ses promenades méditatives dans les dunes, humant les odeurs de sable chaud, appellent de nouvelles associations inédites avec des herbes marines. Le chouchen se monte en émulsion et le lambic en sabayon à l’instar du cidre de feu sur des asperges flambées, parmesan rappé. Dans la « quiétude absolue » du littoral, Yoann NOËL rêve de ces vaches pie noir, des carrés de côte de bœuf entier dans le murmure de la marée.
Après une assiette de truite fumée maison, les grosses asperges blanches fondantes de la Torche (Penmarch)en duo, façon mimosa et sabayon verveine préludent aux ormeaux de l’Île de Groix, en aller-retour, surmontés d’une simple persillade infinie. La pêche du jour replonge spontanément dans les pommes de terre fumées et l’asperge verte. La pause finistérienne tient dans un apaisant bouillon d’algues marines et miso. L’épaule d’agneau confite se voue à une superposition de pommes de terre, betteraves déclinées, oignon confit de Roscoff, sauce anchoïade. Pour ne jamais finir, l’espuma de noisette, craquant sarrasin, namelaka (ganache inversée ultra-crémeuse en Japonais) caraïbes compose avec le soufflé chaud au grand Marnier et l’ananas en chiffonnade, parfait glacé vanille, gel rhum ambré.
Les tableaux colorés du pêcheur côtier au lancer, face aux légendes de la mer, viennent de loin, chuchotent ses clapotis et ses ressacs en chevaux d’orgueil chers à Pierre-Jakez Hélias, montent d’une méditation des Glazik, rumination profonde sur la nature iodée. Les grandes dunes, Tevenn bras, imagent le calme de l’espace dans le terroir bleu, celui de l’océan ponctué du beige du sable et du rose des bruyères. Témoin ce ragoût de homard entier "façon Augustine", recette transmise de génération en génération depuis 1925 : « j’ai allégé le beurre et la crème mais le rapport tactile demeure, se lécher les doigts, manger avec les mains ».
Augustine L'Helgoualc'h, premier cordon bleu français, croquée par le peintre Roger Lucien Dufour, regarde, toujours à la même place, face à l’entrée, pour accueillir ses convives. « On prend soin ».