PORTRAIT DE CHEF
Xavier MATHIEU

Par Fabien Nègre
  • Chef Xavier Mathieu
  • Restaurant Le Phébus
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Dans une majestueuse demeure en pierres sèches réédifiée sur des vestiges des Chevaliers de l'Ordre de Malte, en plein coeur du Lubéron, dans un parc de garrigue, de thym et de romarin, Xavier MATHIEU, humble tranquille à la traversée phénoménale, réécrit la Provence, des herbes fraîches de son jardin à l’allégresse frugale de la picturalité de sa lumière.  

 A Marseille, le 15 mars 1968, se peint un beau minot à la Clinique Beauregard dans le cossu 12ème. Le moujingue verse dans la sévère Ecole dominicaine Lacordaire, dans le 13ème, non loin du domicile de ses parents lesquels héritent de l’entreprise familiale de luminaires Mathieu. Le biquet charmeur, dès huit ans, savoure et concocte avec son arrière-grand-mère paternelle avignonnaise, Rose, cuisinière dans les maisons bourgeoises alentour : « elle faisait son feuillage, sa fondue de poireaux, sa version de la Raïte, une recette de famille de tradition orale, avec un peu de safran dans un plat à gratin et puis, par-dessus, une brandade de morue avec des pommes de terre écrasées et de la chapelure, m’éblouissait autant que ses pieds paquets ».
 
Les bouquets, les liaisons ainsi que les ingrédients l’engrainent dans la pudique volupté de la sapidité. Les cervelles d’agneau de sa grand-mère maternelle, farinées puis croustillées, surmontées d’un petit jus de citron, le réjouissent. A 40 ans, en 1982, son paternel acquiert une auberge en campagne, à Joucas, dans le Lubéron : « Ici, il n’y avait rien, des murs écroulés, un terrain vague. Ce lieu magique, avec sa vue, son calme, un coup de cœur ». Le Phébus, nom poétique d’Apollon, symbole du soleil et de la lumière contrevient déjà à son sens originel, loin des galimatias car la dilection du goût existe de longue main dans la filiation.
 
La mère écoute ses premiers convives avec soin : « Elle ne cuisinait pas mais elle faisait très bien le gigot d’agneau ». Le frère, historien lettré, son ainé de quatre ans, renforce l’aventure familiale sur le versant hôtellerie. La fratrie bâtisseuse se partage entre la cité phocéenne et la ville des papes. Dans cette famille « très soudée », l’adolescent choyé qui « profite de la vie », ne tergiverse pas une seconde entre l’art culinaire qui l’enchante et l’école qui le désappointe. L’artiste rêveur du fond de classe, inapte à la concentration, décompte ses heures sans fin sur son banc de bois.
 
A 13 ans, le déracinement scolaire à Cavaillon le trouble : « un marseillais est un zombie dans la ville du melon, un extra-terrestre. A Gordes, c’était le désert il y a quarante ans ». Prendre place en cuisinant dans la petite auberge parentale matérialise une libération. L’autodidacte, au sortir de sa 5ème, se lance tout de même dans un apprentissage au CFA d’Avignon dans une institution régionale fondée en 1937 : Hiély-Lucullus**, monument historique, pur Art Nouveau de l’Ecole de Nancy, créé par Louis Majorelle. Une autre ananchyte de la ribouldingue empourpre, par merveille, le chemin du petit pouce.
 
Un voisin joucassien s’avance, un matin, à l’hôtel. Il se nomme Roger Vergé : « En 1985, une star et je ne le savais même pas ». Le seigneur triple étoilé en son moulin mouginois, inventeur de la cuisine de la solarité méditerranéenne, l’élève, tous les cinq mois d’hivernaux congés, dans un conte de féerie entre 1980 et 1990. Le maestro de la fête des petits farcis lui lègue les bases provençales des préparations simples et savoureuses à l’image de « cet artichaut à la barigoule, un violet cuit à l’huile d’olive avec un petit peu de carottes et des oignons, du thym et de l’ail, un bouquet garni déglacé au vin blanc sec, puis des légumes provençaux et à la fin, du basilic ».
 
En 1995, l’ami de l’amandier, des arts et des artistes l’intronise, à Paris, rue Raymond Poincaré, chez un autre chef qui estampillera son siècle : Joël Robuchon. La haute voltige parisienne de la méticulosité et de l’immutabilité le magnétise autant que l’émotion de la simplicité dans l’ardente austérité du poitevin aux 32*. En 1996, Xavier MATHIEU, auprès de Gérard Vié, au restaurant Les Trois Marches**, au Trianon Palace de Versailles, accomplit une ouverture royale : « un chef passionnant, fin, délicat, érudit, adepte de la cuisine classique et légère, grand personnage d’humilité, de cœur et de sagesse ».  
 
Tandis que sa destinée le taraude : « un provençal qui vit à Paris, c’est un autre rythme pas si évident ». En 2000, de retour sur ses terres, l’étoile irise : « j’étais ravi mais pas conscient, je n’ai rien cherché dans mon chemin de vie car je doute sans cesse ». Les tournées culinaires tourbillonnent. Le Japon bouleverse le chef du Relais & Châteaux Phébus par la diaphanéité de ses fruits marins et terrestres, ses styles de préservation et de fermentation : « un rêve de respect, un autre monde ». Au Maroc, la science des épices le fascine.
 
Le tian d’olives noires s’étreint tout entier dans une sobriété voire une frugalité occitane : « la forme et le fond, les olives du jardin. Je voulais faire découvrir l’olive autrement que dans une tapenade ». La technique sous-tend toujours une vision. Le gigot d’agneau des Alpilles ensommeillé dans son sable chaud de garrigue résulte d’un hommage à la mère avec ses haricots et son épeautre. Le sable boucané aux herbes parfumées maintient l’homéostasie de la température. « Il existe une tradition légumière dans l’intérieur des terres vauclusiennes. Tout pousse ici ».
 
Quelques bouchées de plaisir ouvrent l’appétence. Ici, des chips de pois chiche et fleurs de courgettes. Là, des morilles farcies sauce crustacés. Puis, de la fougasse et anchoïade qui répondent à la salade de fèves et nepeta. Le tian fondant d’olives noires, câpres, échalotes, crumble d’olives s’étire d’élégance. La tourte provençale aux asperges, oseille, cresson et mélisse, au amandes, sorbet d’asperges grillés et fumées dévoile un florilège agreste. La Raïte de Mémé Rose marie morue et sériole aux poireaux.
 
Les pieds et paquets phocéens passent tels un souffle avant un surprenant rafraîchissement, un shooter de pression glacée d’absinthe des Alpes de Haute Provence. Le suprême de pintade de la ferme de Monsieur Pons se rôtit aux cerises de Joucas, sauce Maturini aux cerises, pomme fondante, fruitée noire. La faisselle de chèvre et baies rouges adoucie au miel de lavande augure du paysage, du fenouil des jardins autour de la ruche, de ce soufflé chaud à l’hydromel, crème glacée au miel de lavande. L’appontage se s’achève en cade de bonbons des treize desserts.      
 
Xavier MATHIEU ébauche la vérité de sa cuisine provençale, profonde, complexe et structurée : « Ma vision de la Provence vécue des terres, loin de la mer et de l’eau, sauf pour la truite de la Sorgue » (Cf. Ma cuisine provençale, Editions Brigitte EVENO, Boulogne-Billancourt, 28 avril 2025). Cette rare manière intime de s’ancrer dans la discrétion de son terroir où préexiste une histoire des origines et une géographie des éléments de ses lointains caractérise la place singulière de l’équilibre, l’épure de la droiture, l’histoire subjective de la mémoire dans un désir d’élégance.
 
La Provence, corps et âme, s’envole alors dans la conscience du sens des saveurs, dans une inspiration, variation sur la genèse, musique des sources. Des souvenances miroitées de l’enfance à la Villa des Anges, l’homme à la chevelure immaculée arbore l’épiphanie de son secret, le monde en résonance : « Bien manger est une expérience, une surprise, un souvenir longtemps après ».   
 
Photos Olivier Pascuito
 
 

HOSTELLERIE LE PHEBUS

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