PORTRAIT DE CHEF
Mathieu PÉROU

Par Fabien Nègre
  • Chef Mathieu Perou
  • Le Manoir de la Régate
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  • Le Manoir de la Régate

Parisien nantais prodigieux de poésie picturale, Mathieu PÉROU, dans son Manoir de la Régate, ancienne guinguette des bords de l’Erdre, nous attendrit d’une délicatesse phasmatique, de sa végétalité cristallisée à sa majestueuse maturation des poissons d’eau douce dans l’enfance de sa rivière sensorielle.    

A Paris, dans le 10ème arrondissement où il paraît le 17 juillet 1992, le poupon ne nichera que huit petits jours. Le père, cuisinier de métier et la maman, infirmière de bloc opératoire, l’enlèvent à Rennes. Une cuisine découle d’un lieu, coule toujours d’un milieu. Avec un oncle, les parents s’enquièrent d’un établissement en Bretagne. En 1995, ils acquièrent Le Manoir de la Régate, à Nantes, sur les bords de l’Erdre, « la plus belle rivière de France » selon François Ier. Ses rives bordées de folies, parcs et maints châteaux crayonnent le terrain de jeu du futur label éco-responsable Green Food 2022.
 
Le gamin passe son enfance au premier étage du restaurant. La généalogie insiste. L’arrière-arrière-grand-mère paternelle, grande rôtisseuse bretonne, orne aujourd’hui, la table du cuisinier. Les deux grands-mères s’activent aux fourneaux des journées entières dans une vraie culture culinaire. Le père et le parrain, endettés, turbinent comme des damnés de la terre et de la mer. Toutes les vacances champêtres de l’adolescent se déroulent chez les grands-parents maternels, agriculteurs. Le grand-père cultive sa terre mais tous les pêcheurs du coin connaissent son petit-fils dès ses trois ans : « Je montais sur le bateau ».
 
L’enfant découvre de merveilleux produits dans la joie et la bonne humeur des deux versants familiaux. Des potagers jaillissent des haricots, des pommes à cidre, des fruits rouges. Très vite, le garçon « traîne » avec ses cousines dans les cuisines : « J’étais très turbulent, trop plein d’énergie, je ne me canalisai pas. Mes parents avaient du mal ». A 6 ans, il joue au football au Club de Carquefou. A 7 ans, il boxe. Pourtant, rien ne suffit : « deux secondes de manque de vigilance, je faisais une connerie, c’était plus fort que moi. Je me faisais virer partout où j’étais. L’école, compliqué, l’autorité, je ne pouvais pas ».
 
Après son collège, malgré tout, l’agité nantais décroche son Baccalauréat Technologique Hôtelier puis un BTS Mention dessert au Lycée Nicolas APPERT. Là, un professeur, directeur de l’établissement, Marc FOURCADET, le révèle. Il l’encourage à se présenter aux compétitions : « derrière un père restaurateur, on a toujours une pression, on a peur de décevoir ». En cuisine, justement, son paternel le fascine autant que l’ambiance du coup de feu dans cette escouade de seize personnes en mouvement.
 
Le jeune homme tout juste majeur mais prometteur se classe troisième, en 2010, au Trophée Jean ROUGIE, à Sarlat, face à un jury de chefs étoilés. En 2011, il entre au service des Frères IBARBOURE. Au milieu de cette grande troupe ancien régime, il commence un stage en pâtisserie et participe au championnat de France des desserts. Auprès de Xabi IBARBOURE, il comble son besoin d’encadrement, de justice et de sévérité : « j’aimais les concours pour la compétition et me mesurer ».
 
En 2012, à la suite d’un éblouissant déjeuner, il persuade Thierry DRAPEAU, seul chef double étoilé vendéen, à Saint-Sulpice-le-Verdon, de le recruter : « J’essayais d’être une éponge, de regarder ses gestes et de les reproduire, tant bien que mal. Je n’aurais pas eu ce parcours si je n’avais pas croisé son chemin ». Dans cette maison en vogue, sévère mais fondatrice où il passe un an au poisson, les canapés le sidèrent autant que les manies perfectionnistes d’un homme qui lui montre comment tenir sa petite cuillère.
 
En 2014, Mathieu PEROU vole à Sydney, en Australie, chez le maître japonais Tetsuya WAKUDA. Même si les bases hexagonales de la gastronomie perdurent à l’étranger, il retient des visions et des techniques : « J’étais qu’avec des japonais, barbecue, ikejimé, poissons à crus, marinades, saumure ». Sous-chef en six mois, en 2016, il affine ses qualités auprès de Peter GILMORE, dans la même ville, qui le déconcerte par ses expérimentations en fermentation et déshydratation. Pour comprendre la mixité des cultures, il effectue un stage, à San Francisco, chez le coréen Corey LEE.
 
A 24 ans, le jeune homme amoureux de son pays, hérite, en 2017, du restaurant de son père Loïc et de cinq générations de restaurateurs bretons, Le Manoir de la Régate, une ancienne guinguette des bords de l’Erdre inaugurée en 1888. L’héritage familial émeut car la métamorphose inscrit la filiation. Mathieu PEROU s’entoure d’emblée de femmes remarquables : sa sœur Anne-Charlotte, directrice du restaurant, prix de l’accueil et du service en salle Michelin 2022 qui cultive un art sensible de la joie du savoir recevoir; Marie-Cécile FRAMPIER, jeune sommelière d’une gracieuse tempérance à l’écoute épointée;  Aliénor DE CASTELBAJAC, coordinatrice de haut vol.
 
En 2021, les deux étoiles, rouge et verte, scintillent. « Je ne pousse pas le curseur, j’habite dans une zone rurale. Je vis à côté d’une rivière, une influence profonde, j’ai grandi au bord, j’ai appris à la respecter depuis tout petit, je ne jouais pas au foot, je faisais du canoé kayak ». Loin des « limites idéologisées », le gagnant du Trophée Transmission Ouest Gault&Millau 2018 prend un malin plaisir jovial à œuvrer sans contraintes. En toute adéquation à sa représentation, il justifie son réel sensoriel, trois ou quatre saveurs autour d’un beau produit.
 
La déclinaison et l’harmonie prévalent, rien ne domine, tout s’éclaire. « J’aime aller là où personne ne va. Un poisson bien pêché, on peut en faire quelque chose de génial ». La singulière modernité du style du vainqueur du Trophée Terroirs d’Exception 2022 tient dans ses voyages multiculturels mais aussi dans un topos d’où jaillit un logos, un élan victorial dont le corps fait décor, l’évidente présence solaire et pourtant invisible de l’énigmaticité du phasme.
 
Dans une philosophie de voisinage, cueillette sauvage et légumes de son potager, il relève le jeu, radical sociétal. Il ne cuisine plus que des poissons de l’Erdre, son fleuve amour, quitte à passer un temps infini à ôter les arêtes des carpes, brèmes, brochets et autres perches. « Dans ce lieu, dans ce milieu, il existe des traditions d’ancrage, je travaille avec les mêmes fournisseurs que mon père. J’aime écouter parler les anciens, je m’en inspire beaucoup. On est loin de tout, on doit garder les pieds sur terre. Mon second est là depuis six ans, c’est comme mon frère, nous étions témoins de mariage l’un de l’autre. A chaque service, on monte sur le ring. On joue tout. Il y a une similitude avec un art martial ».
 
Les canapés saisissent d’emblée par leur profondeur aérienne et leur précision attisée : « Comme une galette saucisse : tuile de sarrasin / saucisse de silure assaisonné au wasabi et tarama de sandre », « Meringue salée au panais / crémeux de panais au mélilot », « Crakers au curé nantais / pesto de mache et lard nantais ». Le pain d’accueil désigne un geste fraternel en feuilleté, façon Edouard NIGNON, aux herbes sauvages. L’architecture des mises en bouche étincèle par un amarrage cosmogonique et une recherche spontanément réglée d’une force poétique sans jamais perdre de vue l’horizon de la définition et le paysage sensoriel de l’émotion : « mousseline de carpe / shiso pourpre / bouillon de queue de bœuf », « tartare d’automne champignon, châtaigne, courge / velouté de courge / graines de courges soufflées ».
 
 
Les entrées réinterprètent dans la musicalité d’un lointain écho harmonique les proches ontologies déclinées en textures stalactitiques et saveurs stalagmitiques : « silure de Loire à la grenobloise, silure mariné à la truffe / beurre émulsionné à la truffe / gel citron / gel câpre / noisette de Saint Julien de Concelles »; « terrine de céleri / vinaigrette oseille / jus de céleri rôti / pickles de moutarde à l’ancienne ». Le « sandre de l’Erdre Ikejime, maturé 21 jours et cuit à l’argile / poireaux crayons de La Chapelle sur Erdre, cebette » signe l’orfèvrerie entre l’art d’interrompre la vie et la patience murmurée du murissement jusqu’à la véracité de la valeur hédonique.  
 
Le bouillon de légumes à l’armoise blanche, presque dashi, nous accorde sa bonté avant la fraîche souplesse d’une pomme verte des vergers de Treillières, herbes sauvages, fromage blanc de la Pannetière. L’ultime tendresse ravit : un coing confit comme une tatin, cidre et sarrasin. Les mignardises légères étirent l’instant cristallisé; chocolat noir fenouil, chocolat, chocolat blanc fruit rouge, financier à la fine de bretagne, guimauve cacao, far breton, pate de fruit au cidre, nougat fruits secs, sablé demi sel.
 
Celui dont le père a cherché l’étoile toute sa vie médite, aujourd’hui, paisible, la devise de son brillant confrère, Christophe HAY, « nul n’est censé ignorer la Loire », pour un autre firmament.
 






Photos Paul Stefanaggi
 

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