PORTRAIT DE CHEF
Manuel MARTINEZ

Par Fabien Nègre
  • Manuel Martinez
  • Relais Louis XIII
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  • Relais Louis XIII

Dans un écrin historique drapé en bonbonnière pour dîners amoureux enfiévrés aux chandelles, à deux enjambées de l’Odéon, à deux foulées des quais, le dernier des grands mohicans classiques, Manuel MARTINEZ, inébranlable, poursuit sa route essentielle sur la clarté du produit et la ponctualité décisive du faire.

La mère-grand paternelle épie Blériot-Plage, là même où Louis Blériot, en 1909, s’envola pour traverser la fameuse manche impossible. Manuel MARTINEZ nait dans le Pas de Calais, à Sangatte, la ville du tunnel, en 1953. Sa grand-mère maternelle basque couvre l’autre partie des Asturies. Franco fusille son grand père paternel dans l’œuf. La mère cuisine fabuleusement, les grands-mères à l’encan. L’époque des cuisinières au bois et au charbon, le Nord, la grille et la cafetière. Des navarins d’agneau tendres comme le jour, des pots au feu en guise de divinités. Tout un paysage, un puissant poème. A 14 ans, Manuel MARTINEZ s’autoproclame Chef. Son père le jette dans les bras d’un maître d’apprentissage. Sa grand-mère fait table d’hôte à Blériot-Plage, le village sur la route de Calais. L’école barre le passage. « Je savais compter déjà ». Obsédé par le patron du classicisme absolu, exigeant, acharné, le petit garçon du Nord toqué du Sud vise la quintessence du « vrai cuisinier pur et puriste ».



Trempé, sincère, perfectionniste, rigoureux, penché sur le produit, envisageant la légèreté des visages, Manuel MARTINEZ, court l’école buissonnière dans un bled non loin de Paris : Louvres. Le père œuvre comme conducteur des œuvres, muté en région parisienne. A 9 ans, Manuel MARTINEZ rêvait de reconstruire Roissy avant Chantilly.

A l’adolescence, le métier l’envahit. " Je ne voulais pas faire autre chose que la cuisine. La question ne se pose jamais ". Regarder sa mère faire la cuisine, de la passion au plaisir. La pâtisserie dessine l’enfance de l’art. Au « Relais de la Vallée » à Aubonne, en 1968, il apprend la vertu des cours par correspondance. La balance des casseroles. « Faire, regarder, apprendre : un métier dur ». Les années enveloppent. MOF 1986 (4 élus sur 500 candidats !), Maître Cuisinier de France, Chef à la tour d’Argent à la Grande Epoque, le trauma des concours personnalise l’éducation : Taittinger, Bocuse d’Or.



L’expérience de la stabilité frappe l’œil. Monsieur Paul préside. Des générations d’étoilés s’exercèrent au Louis XIII, marquées à vie par la personnalité et la vision culinaire de Manuel MARTINEZ. Il réitère à qui veut l’entendre : « Le vrai chemin, ne t’occupe de personne, va à l’essentiel, apprends les valeurs, achète correctement, pratique les bons choix ». Ceux qui persistent s’attachent au Maître. Dans un lieu garni d’histoires, marqué par l’Histoire, le pédagogue de Sangatte écoute encore le silence du couvent des grands augustins, entre collège royal et murmures des murs. Cette maison en fer forgé respire le parfum du temps à l’image du Bristol où il fut commis à 18 ans. Guy LEGAY régnait en Doyen chez Ledoyen. Des produits à en mourir, des recettes miraculeuses. Chef au Relais Louis XIII avec Gabriel Biscaye, le redoutable. Une généalogie des brigades parisiennes.



MARTINEZ arrive à « la Tour » deux étoiles en besace. Il y surnagera sept ans. « La Tour d’argent est une fable ». A 30 ans, il dirige 25 chefs et non des moindres : Yves CAMDEBORDE, Eric FRECHON, que des pointures et des cadors, des personnalités impossibles à maîtriser. Une seule visée, le sommet de la base de cuisine classique du vieux fond français. Acmé de la quenelle, nirvana de la pomme soufflée. « L’expérience Monsieur Terrail », un sévère personnage horriblement humain, relève de l’inénarrable. Tous les jours, 300 couverts pour 3 étoiles. Effrayante usine, fascinante fourmilière helvétique. Des 9h-1h00, des discussions infinies sur tous les produits du terroir hexagonal. En 1996, il acquiert le « Relais Louis XIII » auprès de l’assureur POINDESSAULT. Homme Nord-Sud, du haut de l’humilité saisissante de ses 56 ans d’expériences d’une densité insensée, Manuel MARTINEZ aime à forger de jeunes talents en cuisine et en salle.



Par des sensations inconnues, il leur enseigne à « se sentir bien dans leur tête ». Le thérapeute de la rue du Pont de Lodi transmets des savoirs vivre, être, faire. Il redécouvre des techniques de charcuterie ancestrales. L’art culinaire : un « Jeu sérieux ». Dans l’excitation des coups de feu, dans l’exaltation de la matière, dans la prégnante passion du travail en commun, Manuel MARTINEZ puise la pyramide des pierres déposées, l’exubérance apaisée des dressages, la fleur d’une dentelle. Avec Søren KIERKEGAARD, la caresse image une profondeur dans l’effleurement. Avec MARTINEZ, le client repense la vérité oubliée de ses enracinements, les vertus classiques de son terreau, l’onctuosité du goût du jour. Le mangeur affleure. Le cuisinier essaye et s’essaye. Faire le mouvement de la maturité, comprendre la matérialité du lièvre dans sa faconde royale. L’énergie du produit nous échappe, le geste enfantin de la mâche s’efface.



Le grand-père maternel du double étoilé de la rue des grands augustins jardinait tous les légumes : des carottes fondantes, des pommes de terre confidentes des ragoûts au feu de bois. Des pépinières méticuleusement arrosées à l’eau de pluie. « Il ne faut pas faire n’importe quoi : Betterave, huitre, camembert. Je ne sais pas délirer, ce n’est pas ma culture. Je ne sais pas faire tarabiscoté ». Juste le goût fidèle du Classique. Au Relais Louis XIII, le pâté en croute crépite. Le souvenir ouvre l’avenir. Les grands vins s’abordent aisément. « Ne pas pouvoir consommer est inadmissible ». Manuel MARTINEZ vibrionne de joie. Il tient sa victoire sur le monde par sa cuisine, une leçon d’art et de civilité. « La vérité est dans la clarté du produit. Il y aura toujours des Marx, des El Bulli, des Pierre Gagnaire, des Frédéric Anton mais le retour structuré à la base est fondamental ». Manuel MARTINEZ sculpte de l’intérieur. Il ne dort pas la nuit parfois, pense à quelque chose qu’il faudra rejouer, une envie d’élan et d’allant, sans cravate, sans veste, pour se détendre.

Les Terroirs des Suds enivrent encore son sourire : l’Espagne, le Pays Basque, des vases solaires. Son nid pourtant séjourne ailleurs : le noyau, un morceau de cœur de cuisine du Nord entre Toulouse Midi Pyrénées, la Savoie, Lyon et la méditerranée. La cuisine française avoue l’Escoffier avec sa bourride et sa bouillabaisse. Tendre est la nuit, l’envers du Paradis. Manuel MARTINEZ, en secret, à la Francis Scott Key Fitzgerald, roublard en diable, en partant, chuchote à nos oreilles intriguées que « Gagnaire le Grand » le terrasse. « J’adore mais comment fait-il pour gagner sa vie ? ». La vie comme « une entreprise de démolition » notait François Châtelet. Sans y toucher, sans savoir, l’homme émouvant du Louis XIII problématise notre ontologie du présent : comment être classique et moderne à la fois ? Comment penser la délicatesse comme cette disposition qui oscille entre « le plat de plus » et « le plat de trop » ? MARTINEZ , la grande mesure.

Octobre 2009
 

RELAIS LOUIS XIII
MANUEL MARTINEZ

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