PORTRAIT DE CHEF
Ilane TINCHANT

Par Fabien Nègre
  • Le chef Ilane Tinchant
  • Restaurant L'Oursin huître et caviar
  • Restaurant L'Oursin langoustine
  • Restaurant L'Oursin
  • Restaurant L'Oursin

Orangeois phocéen, paisible tenace, prématuré victorieux, Ilane TINCHANT cingle les vagues de la côte bleue, dans le petit port de pêche de Carry-le-Rouet, par une vogue iodée, balancée entre la végétalité des herbes marines et la traversée saucière élaborée de l’évidence.    

A Orange, le 10 octobre 1996, rien ne se déroule comme prévu, l’enfant hâtif discerne la lumière bien tantôt. La précocité presse les créateurs à Marseille afin d’achever les deux mois de couveuse. En chaque prématuré, herculéen d’une expérience singulière de l’aurore, une énergie inexhaustible s’actualise. Les grands-parents maternels niçois publicitaires choient ce petit-fils très unique : « j’avais droit au délicieux couscous, boulettes, petits pois, langues d’oiseaux le vendredi soir ». Les aïeux du pan paternel tricastins itou car les parents se scindent brusquement.
 
Dans cette enfance ballottée, le trépignant descendant bricole sa crèche kit-cuisine tout seul : « j’ai toujours aimé les belles et bonnes choses. Je me faisais à manger, je rendais visite à mon oncle maternel, restaurateur à Orange ». Dès la 6ème, le collégien aixois déroute toute inspiratrice d’orientation. Les arts du corps l’embrasent. A 13 ans, après six années intensives de pratique, le « très ambitieux » adolescent vise une entrée en sport études tennis.
 
L’automne suivant, le bon nageur boxeur entre en vocation au Lycée Régional Hôtelier de Bonneveine aujourd’hui baptisé Jean-Paul PASSEDAT. L’esprit vif d’émulation mire d’emblée l’empyrée. A 14 ans à peine révolus, il érupte, contre l’avis du corps professoral, dans la brigade ignée de la Villa Archange, chez Bruno OGER**, non loin de Cannes. Le bleu entêté résiste à la pression des quinze heures quotidiennes. Sa soif d’implication l’appelle vers la rigueur de l’application : « en un mois, j’ai tout compris du monde dans lequel je voulais être, les horaires et les japonais, les sacrifices ».          
 
En 2015, la même professeure qui l’avait exhorté à éviter les étoilés durant les trois années de son baccalauréat professionnel, se ravise. Il renverse la table des valeurs, rejoint l’Abbaye de la Celle, maison du groupe Alain DUCASSE, sous les meilleurs hospices, dans la Provence varoise, à Brignoles, en qualité de commis : « mes jours de repos se transforment en jours d’examens ». En 2016, le sage extraverti qui veut décoller à la verticale, médaillé d’Or au Meilleur Apprenti Régional et Départemental réalise maintenant que « la cuisine est un sport de haut niveau où l’on court après des médailles ».
 
Le fulgurant plie le jeu avec une mention complémentaire traiteur chez Fauchon autant au siège, Place de la Madeleine, qu’à Courbevoie où, lors des réceptions de fêtes de fin d’année, une foule nyctalope de bûches de Noël scintillent dans les vastes chambres froides de la célèbre marque épicerie fine au logo strié noir et blanc. En 2017, le sensible à l’art du dosage et la justesse de goût qui singularisent la mixologie contemporaine trace son rutilant chemin à la Tour d’Argent pour l’arrivée de Philippe LABBE**. Au Negresco**, avec le MOF 2007 modèle Jean-Denis RIEUBLAND qui éleva moult impétrants, il éprouve le volume en brasserie et gastronomie.
 
Chassé par le brillant chef martiniquais Marcel RAVIN, Ilane TINCHANT passe quelques mois au Blue Bay**, œuvre au menu 100% végétalien flanqué des légumes récoltés dans le potager de l’Hôtel Monte Carlo Bay. En 2018, il revient dans la cité phocéenne, celle de sa renaissance, à laquelle il voue un « attachement viscéral », y rencontre sa première exemplarité : Guillaume SOURRIEU. Durant trois ans, le chef qui estampille ses plats en vigie du poisson sous toutes ses formes, transmet son savoir de vingt ans au vingtenaire; de l’organisation du garde-manger aux entrées chaudes pour les bouillabaisses, du recyclage des parties des vertébrés aquatiques aux cuissons à la seconde.      
        
A 21 ans, le sous-chef « remet son tablier, tête baissée pour s’arracher » chez Sylvestre WAHID**, dans le cossu 7ème arrondissement de Paris. Le registre végétal moderne, le graphisme audacieux, la précision ultime, l’intimisme feutré de l’étage séduisent le demi chef de partie. Le second maître l’éblouit avec son « chou-fleur maraîcher braisé aux feuilles de curry, baies de goji, raifort frais, givre de lait », hommage intense à sa mère et ses grands-parents ou son marbré de maquereaux, végétal et iodé.        
 
Toute impulsion gustative, toute augmentation du gradient de la puissance ontologique configure la matrice d’un élan géographique. Un autre mentor ami se présente sur le portulan des mouvements : Julien DIAZ*. Le chef marseillais du restaurant Saisons le nomme sous-chef à 24 ans : « Donner et faire confiance, c’est aussi prendre conscience que nous ne faisons que de la cuisine ». Manager équivaut d’abord à ménager, instituer un collectif, créer une équipe qu’on emporte à la victoire dans le luxe d’une architecture de l’assiette, dans une vision de la belle bleue.
 
La place du dialogue et de l’humanité crée une famille, une cohésion de groupe : « mieux, dans l’anticipation sans réactivité, dans des états d’esprit, de bonhommie, je veux que mes équipes soient heureuses de venir travailler, faire-faire bien dans une compréhension passionnée ». Depuis le 19 juillet 2024, à tout juste 27 ans, le sémillant Ilane TINCHANT accède à son premier poste de Chef, au restaurant l’Oursin, dans l’Hôtel**** BLEU, en plein port de Carry-le-Rouet. La criste marine, l’arroche et l’obione se fondent dans l’horizon céruléen.
 
Les sauces, liants marins de silenciation, climax de « juxtapositions mixologiques » s’accordent avec un jus de citron, s’élancent au tourbillon d’un vermouth rafraîchi à la minute, un ciselé torréfié au moment, une brunoise in extremis. Condiments, huiles et poudres montent en complexité dans la clarté de l’évidence magnifiée. L’amour profond des provenances de la méditerranée affleure dans chaque plat : « Ne pas se perdre mais prouver intelligemment l’émotion, le ressenti sans démonstration technique ».
 
Le pugiliste comblé pousse la cohérence de sa logique jusqu’au bout : « La modernité ne déstructure pas tout. La trame future consiste à ne pas rentrer dans des cases ni des casiers sauf pour le homard. Ma cuisine me représente, pas de beurre, pas de crème, pas de régime crétois à l’huile d’olive mais des altérités, partout des inspirations. En Inde, j’adore le tamarin, l’ail noir en Corée, le miso au Japon, les baies roses au Brésil ».   
 
Le seul parti pris, voisiner l’équilibre. La première plongée toujours végétale s’étoffe par le trièdre courgette-artichaut- céleri sous-tendu par l’intrigue iodée. Plus loin, la carotte devise avec la spiruline. Dans cette traversée méditerranéenne toute en complicité, la franchise et l’affirmation de l’iode, rare élément halogène de l’écorce terrestre s’éclairent sans cesse en finesse. Le jardin de la mer se sublime dans sa pêche sauvage, ses puissants coquillages, ses abris sous roches, la douceur carryenne de l’oursinade.  
 
L’huître au naturel augmentée par le caviar Osciètre impérial Petrossian, s’accommode d’huile de baie rose et condiments. La langouste de Méditerranée, juste remontée en température dans un beurre de langouste avec l’esprit d’un aïoli se voit grillée et confite au caviar. Ici, toutes les trames de la cuisson justifient le crustacé. La seiche si souvent banale, en texture, dans son encre, tempura et nuage d’ail, ressuscite. La galinette s’aère dans un fin gâteau salé en mousseline avec une insertion subtile de soupe de roche, vin jaune et œuf de truite. Le turbot grillé s’entreglose avec le sarrasin et les coquillages.
 
Le ris de veau tel un vitello tonato surprend dans son exquise mâche. Le prédessert nous apostrophe en diadème miniature : prosecco, framboise, gingembre et salicorne. Le chocolat en sablé se pare d’un crémeux chocolat Guarana 70%, popcorn et paprika.
 
Au pays de la villa villégiature de FERNANDEL et de la diva Nina SIMONE, le ravi qui sourit derrière son passe compose, poignant, sa strophe spirituelle : « à la naissance, tu sors mais il faut que tu t’en sortes. La plus grande compétition se joue contre soi-même ».  
 

L'HOTEL BLEU RESTAURANT L'OURSIN

A proximité de Marseille, dans l'Hôtel Bleu de Carry le Rouet, le restaurant L'Oursin propose depuis le 19 juillet 2024 une cuisine de...

Découvrir le restaurant

D'autres portraits de chef

Jean-Edern HURSTEL
Lionel FREITAS
Marie-Victorine MANOA
Olivier CHAPUT
Découvertes

A Issy les Moulineaux, face à l'Ile Saint-Germain, et posé sur la Seine le restaurant RIVER CAFÉ de Mathieu Bucher, expose sa vaste terrasse au soleil.

En savoir plus

C'est un restaurant culte. Un de ces endroits où depuis plus de 40 ans rien n'a changé - ou si peu. Installé à la Porte Maillot, Le Relais de Venise a...

En savoir plus