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Teveth

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Auteur : Alexandre THABOR.
Titre : TEVETH
Editeur : Erick BONNIER, Paris.
Date de parution : 2022.

 
La nouvelle de l’assassinat de Tamar, avocate de la Ligue des Droits de l’homme à Jérusalem plonge Israël dans la stupeur. Son meurtre en pleine élection dominée par deux généraux de Tsahal, Isaac NADIR et Ouriel MERONE, ce dernier donné gagnant en 2011, ne peut être le fait d’une simple coïncidence. Or, ni le Shin Beth, ni le Mossad, ni la Criminelle ne savent par où commencer l’enquête, d’autant que Tsahal y joue un rôle important. Seuls Yoram, jeune avocat, et Yaël KESTEL, journaliste, découvrent les liens entre ces trois réseaux et toutes les luttes internes au sommet de l’État d’Israël.
 
Avec l’aide de cyber-agents et du logiciel de surveillance et d’attaque intrusive TEVETH, ils défient un ennemi aux moyens illimités dotés d’un système de cyber-espionnage qui contrôle des hommes dans les cercles du pouvoir en Israël, en Europe et à New-York, où se déroule une partie du livre. Un thriller digne d’une série Netflix. Né à Tel-Aviv, il y a 94 ans, où il a vécu, Alexandre THABOR a fait la guerre d’Indépendance de 1948, puis ses études à l’Université hébraïque de Jérusalem. En 1994, il s’installe en France où il devient consultant en stratégie marketing spécialisé dans le lancement de nouveaux produits de plusieurs grands groupes pharmaceutiques, alimentaires, chimiques et métallurgiques.
 
En 2020, il publie son premier livre, Les Aventures Extraordinaires d’un Juif révolutionnaire, préfacé par Edgar MORIN, aux éditions Temps Présent. Le deuxième opus d’Alexandre THABOR nous bascule totalement dans un autre univers, moins autobiographique que le premier. Il bouscule, par définition, notre vision souvent partielle ou partiale sur un topos mille fois éculé dont il nous montre la complexité infinie et l’humaine tragédie. Il nous entraîne dans un thriller sur le conflit israélo-palestinien. Plus précisément, il s’agit de l’affaire du cyber contrôle et de la surveillance des personnes en Israël.
 
Citant ses auteurs favoris et ses livres de chevet d’emblée, le lecteur pressent tout de suite un décor, des énigmes et une intrigue. Surtout des drames. L’art forme ce mensonge qui dévoile la vérité pour reprendre la célèbre formule de Pablo PICASSO. Toutes les premières pages campent le portrait d’une femme extraordinaire : Tamar Bat-Or. Avocate israélienne aux yeux verts d’une éblouissante beauté (p.7) menacée par le Goush Emounim (Bloc de la Foi). Accusée par un rabbin d’être une « din rodef » (persécutrice méritant la mort selon la Torah).
 
L’idéologie de Tamar devenue avocate de la Ligue des Droits de l’homme tient dans un seul principe : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » prime tout : le gouvernement, les militaires, les partis, les théologies juifs et arabes (p.9). Alexandre THABOR nous embarque progressivement mais sur un rythme infernal (prouesse pour un livre de 450 pages) à l’intérieur du système, dans ces groupes fondamentalistes, messianiques d’extrême droite, surveillés par le Shin Beth, qui prennent pour cible les défenseurs courageux de la liberté (p.11).
 
La trame du scénario gagne encore en épaisseur sur fond d’élection présidentielle, de cyber-pirates d’Elcod, de mafias de l’immobilier, et de l’énigmatique unité 8200 : plus grande unité militaire de renseignement d’Israël spécialisée dans la guerre électronique et la collecte de renseignements, comparable à la NSA américaine. On estime à 1000, le nombre de start-ups licornes lancées par ses anciens membres (p.15). Tamar incarne une héroïne, une forme de pureté.
 
Elle revient aux fondements de la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948, pour la justice et la paix : « liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture, citoyenneté égale et complète et surtout promesse d’une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous les citoyens, sans distinction de croyance, de race et de sexe » (p.18). L’auteur évoque aussi la société yerushalmite, les amitiés tortueuses, les amours indécises, la sensualité des rencontres, la musique des cafés, les succulentes pâtisseries (p.23).
 
Et toujours la figure de Tamar : « Elle jouait comme elle vivait, une femme qui risque toujours tout, famille, fortune, sa vie même, une femme extraordinairement subversive dans son métier d’avocate, n'hésitant pas à dénoncer l’obscène iniquité du pouvoir quand celui-ci répandait la misère, l’oppression, les persécutions et les humiliations » (p.25). Plus loin, Alexandre THABOR nous dévoile finalement « le fondement stratégique d’Israël » (p.27), un monde où tous les coups sont permis, le crime, l’assassinat, la mort : « comment Israël a su se tailler une niche de marché unique par son utilisation du territoire palestinien occupé comme laboratoire pour tester ses armes de haute technologie et sécurité et de renseignement. Et ce, afin qu’elles puissent être commercialisées au niveau mondial comme « testées au combat ». C’est ainsi qu’Israël est devenu un maillon central de l’usine high-tech de surveillance mondiale » (p.29, 91). Témoin le centre d’intelligence artificielle du TECHNION d’Haïfa, arme secrète de la « nation start-up » (p.37).
 
Plus loin, il s’agit toujours d’une fiction, certes, mais bien renseignée tout de même, l’auteur nous ouvre les portes du Kidon (baïonnette en hébreu), le service action du Mossad qui a pour mission de « tuer les ennemis d’Israël » (p.42). Cette cellule active des services secrets israéliens est capable de se battre à mains nues avec n’importe quel type d’armes en circulation, un couteau, un stylo ou une carte de crédit (p.151). L’un de ses membres, Dan Mera, vénère Tamar car elle a été la seule à s’opposer à lui. Puis, la fascinante avocate tombe, chez elle, assassinée froidement.
 
L’enquête commencera à la page 102. Les enquêteurs qui veulent la venger seront à leur tour supprimés dans d’étranges accidents de voiture où les pneus explosent dans un bruit terrifiant (p.200). Les amis de Tamar poursuivent la « pègre numérique » jusqu’à Manhattan où ils se heurtent à l’invisible mais puissant lobby de l’AIPAC (American Israël Publics Affairs Committee, p.246). Le malfrat en chef n’est autre que Orrin PARSKY, milliardaire de l’extrême droite israélienne (p.343) qui se cache dans la ville.
 
Un livre allégorique pour essayer de comprendre le passage de Tsahal d’une armée de défense à une armée d’occupation, l’intimité polémique qui unit des êtres sans conciliation possible entre deux libertés existentielles (p.50), le logiciel espion TEVETH, système d’algorithmes intelligents le plus précis au monde, cybernétique de la pensée. Entre Glock 45 inamical, Uzi féroce (p.356) et manteaux de fourrures enfouraillés des patrons du FBI, un récit envoûtant et émouvant qui se clôt sur la musique, l’abandon, la plénitude, l’amour qui chante la vie en bord de mer d’Herzliya (p.393, 446). 

Notre-Dame du Luxe

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Auteur : Olivier ASSOULY
Titre : NOTRE-DAME-DU-LUXE. Une économie du capital symbolique.
Editeur : LE POMMIER
Date de parution : 7 septembre 2022.


 
Tout ce qui brille n’est pas luxe. Lundi 15 avril 2019. Incendie de Notre-Dame de Paris. Dans les jours qui suivent, les dons affluent, de l’ordre de plusieurs centaines de millions d’euros. Parmi les donateurs, on compte de grandes fortunes industrielles, emblématiques du luxe français. L’événement devient l’occasion d’une surenchère, à l’image des rivalités économiques. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, Georges BATAILLE avait étrangement, mais significativement, intitulé un de ses textes « Des cathédrales aux maisons de couture ».
 
En inversant la proposition, Olivier ASSOULY s’interroge : et si le capitalisme s’attachait désormais à tirer profit d’une cathédrale ? Les croyances du XIIIème siècle qui ont rendu possible le faste des cathédrales gothiques n’ayant plus cours, comment ces dernières pourraient-elles entrer en résonance avec de simples produits de luxe et une réalité sociale radicalement autre ? La question que pose ainsi Olivier ASSOULY, c’est celle d’une réaffectation culturelle et marchande. En déclassant le faste des monuments religieux, en quoi les maisons de couture sous tutelle de LVMH ou KERING sont-elles l’emblème d’un nouvel âge du luxe ?
 
« Le luxe…fut de moins en moins le chose du peuple (comme il l’était encore dans les cathédrales). Ce que nous reconnaissons aujourd’hui n’est guère que le luxe de séparation, que constituent les dépenses faites pour fonder le rang » (Georges Bataille). Philosophe formé auprès de Jacques DERRIDA, Olivier ASSOULY est docteur en philosophie et chercheur à Paris-1-Panthéon-Sorbonne à l’Institut ACTE (Arts Créations Théories Esthétique). Ses travaux portent notamment sur l’alimentation et le goût. Il est l’auteur de Philosophie du goût. Manger, digérer et jouir (Agora Pocket, 2019).
 
Ce livre original et actuel s’inscrit sous le triple parrainage de Marcel PROUST, Georges BATAILLE et John DEWEY. Le premier anticipe la mort des cathédrales au sens de musées glacées d’eux-mêmes. Le second, grand philosophe, écrivain, chartiste bien oublié, prophétise paradoxalement la similitude symbolique entre une cathédrale et une maison de couture. Les marques d’aujourd’hui ne symbolisent-elles pas les cathédrales de l’ordre capitalistique ?
 
Le troisième soulève un point essentiel en notre temps : l’équivalence entre le collectionneur et le capitaliste. Tous deux amassent des œuvres pour attester, dans une culture d’élite, d’une position dans le monde économique. L’introduction nous replonge dans la stupéfaction générale du fameux lundi 15 avril 2019, date de l’incendie de notre Notre-Dame de Paris. Au-delà du sinistre et des foules médusés qui accoururent sur les quais ce jour fatidique, Olivier ASSOULY (p.7) s’interroge tout de suite sur les centaines de millions d’euros qui affluent des donateurs tels que Bernard ARNAULT.
 
Simulacre de générosité ? Morale surannée ? Il semble paradoxal en apparence que des hommes aussi puissants qui ne jurent que par le renouvellement défendent l’ordre statique et intemporel d’un monument. Or, l’auteur, philosophe, spécialiste de l’industrie du luxe et du goût, émet une autre hypothèse qui fonde l’ouvrage à partir d’un texte de BATAILLE. Il conviendrait de prouver que ces dons relèvent de l’investissement, calcul non dissimulé, pour établir un lien entre les activités des marques de luxe et Notre-Dame (p.8).
 
La mutation décisive du luxe consécutive à l’essor du capitalisme tient dans la maison de couture qui aurait supplantée la cathédrale, délaissée et déclassée. Olivier ASSOULY inverse la proposition : pour quelle raison devrions-nous désormais retourner des maisons de couture aux cathédrales ? Autrement dit, comment les magnats du luxe, par-delà leurs déclarations de volonté de restauration patrimoniale, exploiteraient la valeur des cathédrales ?
 
Cet ouvrage détonnant risque l’hypothèse selon laquelle les industries du luxe exploitent des patrimoines, religieux ou non, dans le but d’étayer l’autorité symbolique de leurs propres productions (p.10). Autre question irréfragable : dans quel but opérer la conversion d’une cathédrale du XIIIème siècle, puissant symbole du culte catholique, en un possible dopant économique ?
 
La première partie du texte analyse les enjeux contemporains de l’article méconnu de Georges BATAILLE, « Des cathédrales aux maisons de couture » (1941-1942), laissé de côté au moment de la publication de son célèbre « La Part maudite » (1949). Olivier ASSOULY met en garde contre la doxa qui tend à assimiler, par une filiation historique, maisons de luxe et cathédrales, en plusieurs points : caractère sacré, excellence, tradition. Le chapitre 2 retrace l’histoire l’origine du concept de luxe et la distinction pas si tranchée entre dépenses productives et improductives (p.26).
 
La dépense improductive au sens de Bataille serait associée à la naissance de la maison de couture. Aujourd’hui, la logique du luxe exploite, voire réactive les cathédrales sous l’angle des ressources symbolique, patrimoniale et architecturale avec sa cohorte de métiers d’art et de symbole d’excellence. On peut penser à la Samaritaine, rénovée durant dix ans par LVMH. ASSOULY commentant BATAILLE montre que le luxe correspond à une dépense telle qu’elle obéirait à la règle du gaspillage (p.35).
 
Avec l’apparition du capitalisme, la dépense, toujours proportionnée aux ressources, deviendra le miroir d’une conduite ascétique. Le bourgeois méconnaît la pure perte. Seule une forme d’aristocratie, résidu d’une dépense glorieuse, laisse deviner la cathédrale. Le chapitre 3 souligne l’effet de loupe de la maison de couture en posant des axiomes inspirés du texte de Bataille, qui risquent fort de se voir, au XXIème siècle, dissoudre dans le bain du marché. Exemple contestable aujourd’hui : « Une cathédrale ne peut être l’objet d’exploitation commerciale » (p.39).
 
La maison de couture, évènement français sans précédent au début du 20ème siècle, s’imbrique totalement à l’économie de marché (p.39). Le chapitre 4 expose un luxe social, propre à la collectivité. Le luxe communautaire, là où la fête se donne à tous également, a été remplacé par un luxe de bien-être (p.54). Inscrite dans l’économie d’un don ni gratuit ni désintéressé au sens de Mauss, on peut postuler que Bernard Arnault ou François Pinault agissent tels des marchands opérants froidement et ne dilapideront pas leur fortune en pure perte à moins que ses dépenses ne soient des formes masquées d’investissement (p.59).
 
La deuxième partie du livre commente « la mort des cathédrales », texte proustien daté du 16 août 1904. Une façon contemporaine de s’interroger sur le statut du monument : « Qu’est-ce qu’aujourd’hui qu’une cathédrale ? La maison de Dieu, un patrimoine ouvert à la curiosité touristique ? » (p.66). En effet, des lieux cultuels se muent parfois en œuvres culturelles dans de nombreuses villes touristiques (p.68). L’auteur, avec Bataille, démontre que la cathédrale, presque dès l'origine, ne se destinait pas qu’au culte liturgique et assumait des fonctions sociales et morales, esthétiques et créatrices.
 
Selon Rodin, une cathédrale a une destination par-delà sa prédestination (p.75). ASSOULY ouvre les enjeux d’une réaffectation patrimoniale voire économique. La troisième partie de cet essai dense et érudit qui dérange déploie l’articulation symbolique entre les maisons de couture et Notre-Dame. En apparence et en vertu de la loi de séparation, les magnats du luxe ne songent guère à faire rentrer ce sujet dans le marché. Mais l’affaire, si l’on ose encore écrire, se présente sous une forme symbolique.
 
Olivier ASSOULY avance une sorte de retournement du stigmate dans l’absence d’usage : « L’abandon de l’usage, voire de la consommation, est la condition sine qua non d’une expérience proprement esthétique que prolongera une configuration muséale privilégiant la contemplation » (p.98).           
 

Les ambassades de la Françafrique

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Auteur : Michael PAURON
Titre : Les ambassades de la Françafrique. L’héritage colonial de la diplomatie française.
Editeur : LUX
Date de parution : 22 septembre 2022
 

Il y a soixante ans, les colonies françaises d’Afrique subsaharienne accédaient à l’indépendance. Les palais des gouverneurs étaient légués aux nouveaux présidents, les administrateurs français devenaient ambassadeurs, et la France disait vouloir normaliser ses relations avec les anciennes colonies. Or, aujourd’hui, le faste des résidences de France, le comportement des diplomates et la marche de l’administration française donnent une tout autre image, où les ambassades occupent encore une place centrale dans les destinées africaines.
 
Cette enquête, véritable éclairage par le bas de la politique française en Afrique, dévoile la domination symbolique, matérielle et économique de la politique étrangère française en Afrique et, par-là, ce qu’il reste de la colonisation dans les rapports entre les Africains et ces hauts fonctionnaires. A l’heure où l’Afrique est aux prises avec des enjeux majeurs – immigration, lutte contre le terrorisme, guerre de l’information-, les empires diplomatiques de l’État français répondent d’autant plus à ses considérations tragiques, économiques et politiques, et perpétuent ainsi leur héritage colonial.
 
Journaliste d’investigation indépendant, Michael PAURON a travaillé dix ans au sein du magazine panafricain Jeune Afrique. Il collabore aujourd’hui à Mediapart et Afrique XXI.
Les ambassades de la Françafrique est le premier titre chez Lux de la collection « Dossiers noirs », dirigée par l’association Survie, qui « dénonce toutes les formes d’intervention néocoloniale française en Afrique et milite pour une refonte réelle de la politique étrangère de la France en Afrique ».
 
Dès l’introduction, le ton pugnace et politique nous entraîne dans la nuit angolaise et les frasques des Français appartenant au corps diplomatique (p.5). L’auteur remarque d’emblée une forme « d’arrogance » qui s’illustre à tous les niveaux : dans le rapport aux femmes, lors d’évènements officiels ou médiatiques (p.7). La néo-colonisation envahit les têtes, mieux, les imaginaires. La question porte alors, plus de soixante ans après les indépendances, sur le statut particulier de l’ambassadeur de France dans les anciennes colonies de l’Afrique subsaharienne ?
 
L’auteur, très clair et direct, expose sa thèse. La décolonisation n’a souvent pas eu lieu car l’ancien colonisateur perpétue sa puissance sur la base de la domination coloniale (p.8). Les relations tenues et surtout maintenues se fondent sur une nécessité vitale pour la France de maintien de son influence sur ces territoires. Dès lors, il y a une urgence souhaitée par la population africaine à mettre fin à cette asymétrie de pouvoir. Ce livre incisif et décisif, fruit de deux ans d’enquêtes, ambitionne « d’éclairer par le bas la politique française en Afrique » (p.11) pour parodier une expression du politologue Jean-François BAYART.
 
La première partie du présent opus couvre le vrai pouvoir de l’Ambassadeur. Le premier chapitre concerne le couple Ouattara avec un travail de terrain et d’investigation remarquable où l’on perçoit les liens étroits entre l’ambassadeur et le Président, l’exfiltration vers la France (p.21) et finalement la tradition qui veut que « l’ambassadeur de France soit le gardien de la copule incestueuse franco-ivoirienne » (p.26). Le texte situe toujours le contexte en montrant l’ingérence décomplexée des ambassadeurs français dans les anciennes colonies africaines de la France (p.28).

Ces habitudes structurales perdurent et dénotent d’une certaine forme de résilience. La réciprocité des amitiés historiques, soutien régulier à des régimes honnis allait logiquement nourrir un ressentiment à l’endroit de la France selon l’auteur bien informé (p.31). Le chapitre élucide la rupture des relations entre Paris et Bamako en s’appuyant sur les travaux de Laurent BIGOT, ancien diplomate chargé de l’Afrique de l’Ouest. Sur le Togo, les pages 56 et suivantes décrivent le destin tragique de d’un magnifique petit pays avec lequel la France n’a jamais rompu, de DE GAULLE à MACRON à l’image d’ex militaires de haut rang français qui dispensent leurs conseils au président actuel afin de sécuriser le nord du pays face au risque djihadiste.
 
De fait, se déroule le rôle essentiel joué par les ambassadeurs de France dans le maintien d’une tradition françafricaine (p.57). La deuxième partie de l’excellent livre de Michel MAURON analyse la domination symbolique et matérielle de la France sur les infrastructures, l’architecture ou la sécurité. La société SIGA, par exemple, qui emploie 3000 vigiles en Côte d’Ivoire, dirigée par une française, Maryse Malaganne-Delpeuch (p.115), filiale de Seris, propriété de la famille Tempereau, parmi les 500 familles les plus riches de l’hexagone.
 
La troisième partie de cet essai clairement subversif explicite la permissivité dans les anciennes colonies : ivresse à Bangui ; iconologie pornographique diffusée en Europe sur les Africaines (p.128 : voir l’étude de Pascal Blanchard, Sexe, race et colonies). Les petites affaires des ambassadeurs fleurissent aussi dans le pétrole et le transport maritime : « Michel de Bonnecorse Benault de Lublières, ex-patron de la cellule Afrique de l’Elysée (2002-2007) est recruté par CMA CGM » (p.152). La quatrième partie, passionnante et peu connue, nous entraîne dans le business juteux des politiques migratoires (p.161).
 
Depuis une dizaine d’années, la France privatise ses services de visas : « Les anciennes puissances coloniales gardent un contrôle absolu sur les Africains qui désirent passer leurs frontières. A travers leurs services diplomatiques, elles perpétuent l’organisation mises en place dans les capitales de leurs empires, en contrôlant les déplacements des « indigènes » afin de les contenir en « périphérie », loin des Européens et de leurs biens » (p.203).

Conclusion : un livre solide et pertinent pour comprendre l’arrogance de la diplomatie française, la morgue constante qui se poursuit sous la macronie, la suffisance et l’absence de remise en cause, la fatuité d’une position privilégiée, excellence jamais démentie par la formation des corps et la conformation du corps (p.207).       

EN TRANSIT.

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Auteur : Céline REGNARD
Titre : EN TRANSIT. Les Syriens à Beyrouth, Marseille, Le Havre, New York (1880-1914).
Editeur : ANAMOSA.
Date de parution : 22 septembre 2022.

 
L’historienne des migrations, Céline REGNARD, s’intéresse ici à un temps du parcours migratoire jusque-là peu exploré : celui du transit, ce moment et ces lieux de l’entre-deux. A partir de l’exemple des Syriens de la fin du XIXème siècle, c’est aussi une histoire incarnée qui s’écrit ici, à hauteur d’hommes et de femmes.
 
Pleinement inscrit dans le renouvellement historiographique d’une histoire mondiale et connectée des migrations, cet ouvrage met l’accent sur les circulations et, grande originalité, sur le temps et les lieux du transit, ce « temporaire » plus ou moins long, cet entre-deux, dans l’expérience migratoire. Pour ce faire, Céline REGNARD, après plusieurs années de recherche tant sur des archives françaises qu’américaines, s’est intéressé aux conditions de transit des migrants dits syriens des années 1880 à la Première Guerre mondiale.
 
Dans un récit très incarné, car nourri de parcours particuliers, le point de vue privilégié est celui des migrants, une histoire à hauteur d’hommes et de femmes. Outre les migrants, c’est aussi une multitude d’acteurs et d’actrices, un monde institué et/ou parallèle dans les villes-ports concernées, qui entrent en scène : logeurs, passeurs, pisteurs, bateliers, mais aussi médecins et policiers ; en effet, cette étape ou « station » que représente le transit est aussi un moment de contact singulier et particulier entre ces migrants syriens, souvent vêtus à l’orientale et parlant arabe, et les populations occidentales.

Si les regards portés sur eux sont multiples, de l’empathie à l’inquiétude, les Syriens produisent également dans ces moments de passage des représentations d’eux-mêmes et des autres. Un monde et des expériences qui paraissent bien loin, mais résonnent pourtant fortement avec notre présent ; à l’heure des frontières qui se ferment et des contrôles renforcés, les transits se prolongent pour devenir des impasses ou des retentions.
 
Céline REGNARD est maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches en histoire contemporaine à Aix-Marseille Université, chercheuse au sein de l’UMR TELEMMe (CNRS-Aix-Marseille Université) à la Maison méditerranée des sciences de l’homme, dont elle est directrice adjointe. Elle est l’autrice de nombreux articles et notamment de Marseille la violente. Criminalité, industrialisation et société (1851-1914) aux Presses Universitaires de Rennes en 2009.
 
Louons encore une fois le travail remarquable d’une petite maison d’édition telle qu’ANAMOSA qui publie des ouvrages originaux, engagés, politiques, et surtout des beaux objets. On ne peut qu’apprécier les très belles images anciennes de familles libanaises en noir et blanc, la qualité du grain du papier. Le goût de l’archive se place sous la gratitude d’Arlette FARGE. La longue introduction, telle un début de roman policier, se situe à Marseille, en 1908, autour d’un cadavre découvert dans une malle. L’auteur nous immerge d’emblée dans les bas-fonds phocéens où les pisteurs deviennent des « entrepreneurs d’émigration » (p.8).
 
Ce crime spectaculaire ne signifie rien à l’historienne, sur le moment dans ces vies oubliées mais c’est en travaillant sur les archives de la police de l’émigration du port et du chemin de fer de Marseille que Céline REGNARD découvrira les Syriens de passage entre 1890 et 1900, ce monde du transit migratoire dans toute sa complexité et sa noirceur (p.11). Cette thèse passionnante d’habilitation à diriger des recherches, bien écrite, limpide, sourcée, mêle faits divers, archives judiciaires, brèches dans le tissu des jours, objets d’histoire pour une « histoire des gens », à hauteur d’hommes et de femmes qui passent, dans des hôtels, qui tissent des liens dans des lieux où des connivences se crée entre tout ce monde d’intermédiaires, de pisteurs, d’arnaqueurs, profiteurs et les hôteliers et agences d’émigration. Elle déjoue les représentations stéréotypiques des Levantins.
 
Le concept de transit, au sens plus vaste, confère à ces milliers de personnes, qui, au tournant du XIXème et du XXème siècles, arrivent dans les ports et en repartent, en quête d’un ailleurs (p.12). L’étude fascinante des conditions d’un passage par des territoires vers d’autres territoires, emporte. Le transit des migrants, ce temps de l’entre-deux, s’effectue dans quatre villes symboliques : Beyrouth, Marseille, Le Havre et New York. L’objet de ce beau livre consiste à comprendre ce qui se passe dans ces « stations ».
 
Attention : ceux appelés « Syriens » se nomment en réalité majoritairement des natifs du Mont-Liban donc des Libanais au sens actuel. Cette migration syrienne s’inscrit dans un mouvement plus général d’augmentation des mobilités à l’échelle de la planète. Les migrations transatlantiques représentent 56 millions d’Européens vers les Amériques entre 1840 et 1940. A noter également que ce livre comble un manque dans l’historiographie des migrations, longtemps histoire des installations à savoir de l’immigration et de son intégration.
 
Les historiens s’intéressaient peu au fait du transit migratoire et des migrants transitaires (p.26). La maîtresse de conférences à Aix-Marseille étudie l’attente, composante majeure du transit, catégorie de la pratique, histoire à hauteur d’individus qui le vivent. Prendre en compte la parole de ces acteurs revient à documenter ce que l’archive passe sous silence ou effleure (p.31) : le fourmillement de détails du voyage, l’inscription dans des réseaux, l’appui sur des ressources divers, l’histoire familiale, les impressions et sentiments. La première partie se focalise sur l’acte d’habiter, faire avec l’espace du transit (p.38). D’abord, seuls les connaissances et les compatriotes offrent le gîte.
 
L’existence d’un quartier syrien à New York, de même que la fonction de transit de cette ville, porte d’entrée et de départ, font du logement chez l’habitant une pratique habituelle. Les présences discrètes se transforment en investissement général des lieux (p. 49). Une autre possibilité de logement tient dans le marché de l’hébergement de courte durée (p.54) : « Dans une pièce sombre et nue, deux rangées de poutres sous-tendent, sur deux étages, des hamacs de toile. Pas de draps, pas de couvertures, pas d’oreillers, le confort des dormeurs se résume à un toit et à l’éloignement du sol » (p.56).
 
Parmi les villes traversées ou contournées, Marseille excepte : « la seule ville où les conditions ne sont pas réunies pour un transit rapide » (p.99, p.140 : le choléra, p.147, 148). Immobilité temporaire, le transit suppose d’habiter l’attente mais de subir également un encadrement (p.102) : passeport, visa, « murs de papiers érigés par les États » : « la hantise du migrant se situe moins dans un destin sans destination que dans un destin qui n’aboutit pas à la destination voulue » (p.103).
 
L’expérience de la frontière commence avant et se prolonge après le passage de la limite. On lira avec profit les pages sur la dimension angoissante et inquiétante d’Ellis Island, à New York, espace pensé et aménagé pour le transit et le contrôle, le tri des bons et mauvais éléments (p.117), lieu symbolique de passage des frontières (p.166). On s’attardera, avec la plus grande acuité, sur le chapitre 3 intitulé « un monde d’escrocs ». Les aigrefins développent une économie informelle et illicite aux dépens des migrants. « Petites mains et intermédiaires de toutes les combines, ils sont des figures familières des ports, particulièrement de Marseille et Beyrouth » (p.171).
 
Le portrait du pisteur marseillais César TASSO (p.181) exemplifie ce monde informel qui se déploie au détriment des migrants. Le transit fonde la condition d’existence de cet espace de l’arnaque en ce qu’il conjugue un présent et un futur à un ailleurs (p.242). Le chapitre 4 délimite l’univers des ressources et met en exergue une agentivité des migrants. La mobilité conduit à l’acquisition d’une expérience (p.254). Les compagnons d’infortune renforcent leurs liens, s’entraident. L’auteur, post-braudélienne, va plus loin, elle propose l’idée d’un jeu collectif autour d’un intérêt bien compris : « Tout se passe comme si, dans les ports de transit, se jouaient des interactions qui relevaient de situations où les protagonistes sont tous conscients du rôle joué par chacun et en acceptent les prémisses ainsi que les conséquences » (p.291).
 
Cette polémologie du faible, cette micropolitique de la marge, cette attention portée à la parole et aux témoignages, change les regards sur les migrants. Le chapitre 5 dispose un miroir au transit. Il décline les stéréotypes de l’Autre (p.344-346, 359). La conclusion abonde en perspectives de recherche sur le transit en tant qu’expérience migratoire, confrontation à l’inconnu, effets circulatoires des traversées suspendues (p.375).       

Rhum au long cours. De la canne à sucre aux cocktails

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Auteur : Christophe GUITARD
Titre : Rhum au long cours. De la canne à sucre aux cocktails.
Editeur : Editions Apogée.
Date de parution : 14 septembre 2022

 
Arpenter les arcanes du rhum, c’est d’abord s’intéresser à sa préhistoire, celle du parcours de la canne à sucre, afin d’en ressentir la complexité, la richesse, l’ubiquité et de comprendre sa destinée tant continentale qu’insulaire. De la canne naît en effet le rhum et comme elle, il n’apprécie pas le froid mais le soleil et l’eau ; imprévisible, il peut « tuer le diable », à doses médicinales comme il peut le dissimuler par l’ivresse qu’il engendre. Il devient alors l’objet d’une âpre tentation pour les marins de tous les pavillons sur les océans et mers de l’équateur médian bordé par les tropiques : le Rhum personnalise l’exotisme au long cours mais plus encore !
 
De l’odyssée de la canne aux colonies sucrières, du tafia primitif au grog des marins anglais, des rhums de collection aux rhums à cocktails, des productions artisanales aux rhums industriels, « tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le rhum » sera abordé dans ce précieux ouvrage où se mêlent économies et productions, écologies et traditions, consommations et alcoolisme, législations actuelles et Free rhum's land.
 
Christophe GUITARD s’est formé à l’œnologie et à la sommellerie sous l’égide du fameux CIDD (Centre d’Informations, de documentations et de dégustations). Il devient agent commercial et crée le site et la cave de La Contre-Etiquette en 2006 (vins bio et biodynamiques) avec trois amis. En 2014, il est entré dans le comité de sélection et déguste les vins et champagnes pour le guide Gault&Millau. Il participe aux dégustations de 60 millions de consommateurs, du site Veepee et aux sélections des rhums du concours et du site Top Rum.
 
Depuis quelques années, la littérature sur le rhum abonde. On citera par exemple, les grands experts mondiaux tels que Luca GARGANO avec son remarquable Atlas du Rhum en 2014 ou plus récemment Alexandre VINGTIER avec son livre de référence réactualisé en 2022 nommé « 151 Rhums, mon tour du monde des bouteilles à goûter absolument » chez Dunod. Avec humour, jeux de mots parfois, sérieux historique toujours, l’auteur nous propose un livre ambitieux résultat de son expérience de dégustateur sélectionneur. Dans sa préface, Fabien HUMBERT, rédacteur en chef adjoint de RUMPORTER, souligne l’excellence de la partie consacrée à l’histoire du spiritueux issu de la canne à sucre. Loin de la « boisson des chagrins, des enterrements et des excès d’alcool » (p.7), le rhum a le vent en poupe et notamment sur le marché français où toutes les marques du monde voudraient imposer leurs joyaux premiums.
 
Cet essai à l’opposé d’un guide arbitre met en lumière l’histoire, la canne, la mélasse et le rhum. Un voyage sur toutes les facettes de cet alcool devenu noble pour voir et goûter le rhum autrement (p.12). La première partie de ce volume conséquent traite des origines historiques mystérieuses de cette liane domestiquée que forme la canne à sucre ou canne à miel. La traversée captive et instruit : « En 1425, des cannes provenant de Sicile sont importées à Madère qui devient la première île « occidentale » à exploiter la canne à sucre » (p.27).
 
Autre lumière fascinante page suivante : « Hormis les fruits mûrs et sauvages de toutes les régions du globe, les seules sources de sucre d’origine naturelle, connues depuis la préhistoire et les plus utilisées, furent le miel et celle, concentrée, de la canne à sucre » (p.28). Ce livre réussit la prouesse de s’adresser à la fois aux érudits et aux novices. Plus loin, la classification de la plante vivace par hybridation croisée étourdit : « Il faut huit à dix ans entre la première étape et la dernière. Il existe aujourd’hui plus de quatre mille références de canne à sucre de tous types d’origines et de reproductions confondues » (p.43).
 
Carrefour de tensions, source d’une empathie sociale à régénérer, baromètre équinoxial des fluctuations marines des aventuriers au long cours, le rhum a partie liée à la colonisation et l’esclavage (p.72, 75) sous les tristes tropiques (p.54). Les pages sur les « hollandais violents » (p.56) pointent une histoire méconnue du siècle d’or néerlandais qui améliorèrent à la Barbade, dès la deuxième moitié du 17ème, les techniques de raffinage du sucre et de la distillation du tafia et des guildives (premières ébauches de rhum). Au versant prisé de l’eau de vie de canne à sucre correspond l’ivresse des pirates, flibustiers et autres corsaires. Sur la question, on se réfèrera aux travaux du regretté Gilles LAPOUJE.
 
Christophe GUITARD pimente son récit d’une foule d’anecdotes seyantes : « John Rackam (1682-1720), Anne Bonny (1697-1782) et Mary Read (1685-1721), deux femmes pirates les plus célèbres, se sont fait capturer après avoir consommé tout le rhum que transportait le bateau qu’ils avaient arraisonné » (p.62). Arme de dissuasion passive (p.64), ou active (cocktail molotov ou bombe incendiaire mêlée à de la poudre à canon), puissant psychotrope addictif, le rhum devient un moyen commercial d’échange.
 
On passe du sucre rare et cher, épice dédiée à l’aristocratie, au sucre prolixe, adjuvant préféré d’une population de masse (p.84). Les premiers rhums, distillés à partir de jus de canne frais puis de mélasse en 1642, d’abord à la Barbade puis en Jamaïque, s’encastrent dans l’économie de la colonisation britannique. En France, Richelieu incitera dès 1626, les colons à planter de la canne à sucre (p.91). Dès le milieu du 19ème, l’oïdium, le phylloxera et la crise du sucre profiteront à la recrudescence du rhum (p.99). L’un des grands mérites de cette mise en perspective historique tient dans la mise au jour d’un cycle du rhum qui concurrence les spiritueux métropolitains (p.101).
 
On pardonnera alors à Christophe GUITARD, en dépit d’un solide travail historiographique, ses facétieux jeux de mots parfois attendus (p.103 : évènement/avènement, p.190 : non réflexion/a-réflexion) ou pas toujours réussis (rhum/rhume : p.117), insérés dans ses titres de chapitre ou le corps du texte tout au long de sa démonstration. Ce voyage au long cours parvient tout de même au XXème et XXIème siècles qui marquent le renouveau de l’esprit de la canne (p.113). Les interviews de Nicolas JULHES, héritier des épiceries parisiennes du même nom et d’Alexandre GABRIEL, maître assembleur, propriétaire de la Maison de cognac FERRAND, abordent la spécificité distillatoire de la canne à sucre eu égard au raisin, aux céréales ou aux fruits.
 
La notion de terroir apparaît centrale. Loin du jugement de valeur souvent français sur la supériorité du rhum agricole, les fins connaisseurs mettent l’accent, à juste titre, sur le spectre aromatique de la mélasse : « arômes épicés, safranés, de réglisse noire, de zan » (p.125, 181, 253). On regrettera, cependant, quelques considérations péremptoires sans fondement voire des connaissances manquant un peu d’actualisation du même Nicolas JULHES sur la tendance supposée de la canne à sucre à conserver davantage d’aromatique après distillation que le raisin, les céréales ou les fruits (p.120, 165 : sur l’absence d’évolution dans le temps des spiritueux titrant à 40 ou 46° ; p.174).
 
Autre exemple frappant : une phrase étrange d’Alexandre GABRIEL, qui ne manquera pas de ravir les érudits du whisky : « Dans le whisky écossais, 99% du grain est importé » (p.127). Rappelons que le grain signifie : maïs, seigle, blé et orge non malté. Bref, ne jouons pas les esprits chagrins. Le savoir-faire du maître cannier sur les apports intrinsèques de la canne existe par transmission et par la diversité des méthodes culturales. Les processus de fermentation sous l’action des levures indigènes et exogènes font l’objet d’une discussion nourrie et argumentée (p.134), le rôle primordial de l’eau également. La partie consacrée aux types d’alambics rentrent dans le détail des colonnes, de l’aspect sociétal et culturel pour nous dévoiler un « art distillatoire » (p.158) peu souvent évoqué dans les écrits sur ce vénérable alcool ainsi qu’un art de la tonnellerie (p.161).
 
Christophe GUITARD ouvre le débat, rafraichit notre inextinguible curiosité sur cette « fascination presque instinctive pour le rhum qui conjugue sucrosité naturelle et cartographie mémorielle d’un ensemble mêlant saveurs et odeurs exotiques tirée d’une exosmose générale et continue du terroir insulaire… » (p.262).             

98 livres

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