PORTRAIT DE CHEF
Richard ROBE : Le V du VERNET

Par Fabien Nègre

Sous la cristalline verrière à l’armature Gustave EIFFEL du centenaire VERNET*****, aux escaliers traversés de vitraux initiaux, dans l’esprit stylé de la discrétion, british de Manchester, normand bagnolais, humain féru de son équipage, Richard ROBE, énergique canalisé, amoureux du métier, garde en mémoire l’éclatante maxime de sa ville natale : «Concilio et Labore».  

Le 7 mars 1978, le poupon mancunien ne prise guère le ballon rond. L’enfance anglo-saxonne oscille entre le Royaume-Uni et la Normandie. La première sensation salivaire roule sur les cristaux de sel quand bien même maman s’adonnerait aux architectures sucrées. N’en déplaise aux bougons hexagonaux, la ferme britannique délivre des insensés souvenirs de table. «Ma mère excellait dans les cakes, les « pies », elle réussissait parfaitement la forêt noire avec ses copeaux de chocolat». Les grands classiques salés toupillent de concert.

A 12 ans, l’enfant cabriole sur le talus : «Je veux épouser le métier de bouche». Le beau-père du jovial anglais lui inculque, bien avant les jubilés gourmands, la rude école du labeur à la sueur frontale : «Quand je voulais un cadeau, un walkman par exemple, je me réveillais à 5h du mat, je devais le gagner. Entre 10 et 14 ans, j’ai vendu des journaux dans les rues de Manchester». En 1992, les siens déménagent dans le village du « Grais », non loin de Bagnoles-de-l’Orne, pour ouvrir une exploitation agricole. Dans leur commune échappée sylvestre, poulardes, porcelets et agnelets sautillent comme par inadvertance.

A 15 ans, l’adolescent ultrasonique ne pratique pas un traître mot de la langue de François-René de Chateaubriand. Au lycée d’enseignement professionnel de la Ferté-Macé, son proviseur l’enjoint de s’atteler à un CAP Salle avec des stages estivaux à l’Hôtel du Bois Joli, afin de l’apprendre. «Je passai tout mon temps aux fourneaux, toutes mes soirées avec le Chef, toutes mes fins de semaine aux pianos, je ne rentrai plus jamais chez moi, j’habitai sur place, j’ai compris, presque tout de suite, que la gastronomie serait l’œuvre de ma vie». Le moustachu capucin toujours prompt à une espiègle diablerie, écarquille les yeux.

Tout se joue avec les mains, l’exigence de juguler la trop grande énergie par les arts martiaux. Le travail prime tout, le cadrage surpasse le cadre. «J’avais besoin de quelque chose de militaire, quand on a des choses à faire, on peut travailler 24 heures sur 24». Loïc MALFILATRE, son premier Chef, le prend sous son aile, en apprentissage total, à 16 ans. Ce cuisinier traditionnel, ancien directeur de «grosses brigades étoilées», le pousse dans les derniers retranchements de la technique et de la rigueur : «Réveillés à 4h, on faisait nous-mêmes tous les pains et les brioches».

De cargolades en rigolades, les cueilleurs de champignons l’émerveillent : chanterelles, girolles, cèpes, lactaires, pieds de mouton, trompettes de la mort. Le mousse du mousseron savoure la magie de la campagne avec sa giboyeuse magnanimité : sangliers, cerfs, biches, bécasses et palombes. Le garçon aux beaux cheveux bouclés apprend l’art de l’escargot et son feuilleté. Dans une école privée mayennaise où le cours de cuisine ne comprend que cinq élèves dont un compagnon du devoir, il poursuit sa quête de savoir. «La cuisine : ma passion».

Celui qui affectionne le poste entremets, le cisèlement minutieux du légume ou l’agencement des assortiments obtient son CAP/BEP cuisine dans un domaine familial transformé en école, à Bas-Mont. En juillet 1997, les premiers émoluments tombent au « Bistrot d’Hubert », dans cette petite maison de campagne réputée du 15ème. Dans le volume et l’agitation, aux côtés d’Eric BARBARY, le jeune homme s’instruit des fiches techniques réalisées par le propriétaire, s’imprègne de l’ouvrage en binôme.

Deux ans durant, dans un «bistrot gastro» moderne qui sert de «la rémoulade de crabe au cactus», l’homme de cœur connaît l’envoi des plats, la structuration d’une équipe. «On était proche des patrons. Je suis un être humain, j’aime qu’on me traite en tant que tel. Seuls les grands directeurs avec lesquels on a un bon feeling nous élèvent». En 1998, le novice qui commence à rouler sa couenne arrime sa voile à la «La Butte Chaillot», établissement du Groupe Guy SAVOY. Dans ce 16ème passant de l’avenue Kleber idéalement situé, la carte affiche de solides «spécialités» dont le poulet à la broche.

«Aller au-delà, me dépasser, je rentrai dans le monde culinaire, antichambre du monde étoilé». Au tournant du 21ème siècle, il rejoint le célèbre établissement d’Henri FAUGERON**. «Impressionné, dans la cour des grands, un rêve éveillé, je veux plaire et bosser dans ce vrai deux étoiles. J’avais la pression, les premières semaines, je ne dormais plus, j’arrivai très en avance».

Propulsé en pâtisserie, il manie les feuilletages et autres soufflés au chocolat blanc. Le petit anglais de Manchester enchaîne avec « La Marée »*, propriété du couple TROMPIER, alors renommés pour le poisson dans tous ses états : turbot en croute de sel, rougets dans l’argile.

Bernard PINOT, le chef des lieux, le marque par son «énergie unique de tornade bienveillante». Saisir le produit, assimiler les classiques et les bases, un éclaircissement. A 23 ans, ce parcours hors du commun se voit couronné par un poste de second de cuisine de Christophe DIé, à l’ASTOR**. Aux sauces et cuissons, à l’école ROBUCHON, malgré un rythme presque insoutenable, l’apprentissage passionnant se termine. La consécration advient avec Alain SOLIVERES, chez TAILLEVENT***, en 2002.

A « L’Angle du Faubourg », durant six ans, sous la direction de Laurent POITEVIN, l’hyperactif heureux passera de grands moments. «Cela n’arrêtait jamais : de la restauration pure. On travaillait tous les produits, on poussait loin tous jus de viande, le homard ou la sardine. Chaque plat avait une extraction spéciale. Le grand classicisme à la française revisité par un grand patron, Jean-Claude VRINAT». Très respectueux de ses anciens chefs et de ses équipes, le cycliste quotidien attendait un poste de « Chef » à sa mesure tel un titre qui se mérite.

Longtemps dans l’ombre de ses ainés, le Chef du V du VERNET, depuis 2014, accède à sa lumière personnelle en pratiquant son style, une «cuisine libérale» qui résulte des bases de la gastronomie française, apprises et comprises, adossées à un esprit très anglais sur les épices ou les fruits et légumes. Dans l’ouverture des horizons, le détail trouble la vérité de la scène. Le fil allégorique des saisons transforme la perception gustative : «Carpaccio de langoustines, agrumes et avocat aux fruits de la passion», «La tourte du V, suprême de perdreau et butternut, cuisse rôtie et mesclun de salade».

Ici, le «pie» accomplit le dôme signé CHAMPIGNEULLE. Là, le crustacé, rincé longuement à l’eau par une technique nipponne, change de texture. Ailleurs, le curry trace un fil rouge afin que le mangeur identifie la saveur tout au long du processus de dégustation. La manière de gouter nous transforme pour nous étonner. «Une vie, un sentiment, l’amertume balancée entre acide et amer, un pain brûlé au foie gras». Des cuissons «minute» caressent les viandes: «une côte de bœuf cuit 20 minutes, repose 20 minutes».

Habité par ses éléments, forêt et montagne, humus ou océan, Richard ROBE contemple le doux passage de ses saisons normandes. Il ne cesse jamais, aime la beauté de l’avenir. «Un métier social génial».

> Le restaurant V du Vernet
25, rue Vernet - 75008 Paris - Tel : 01 44 31 98 12
 

LE VERNET - RESTAURANT LE V

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