PORTRAIT DE CHEF
Lourdes PLUVINAGE

Par Fabien Nègre
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Arequipeña amoureuse de Paris, audacieuse ambassadrice certifiée de la gastronomie péruvienne dans son El Picaflor (Le Colibri), Lourdes Pluvinage œuvre, depuis plus de trente ans, au rayonnement de la culture andine à travers sa cuisine métisse pimentée à l’imagination colorée.      

A Characato, petit village d’un district d’Arequipa, au sud du Pérou, germe une enfant, héritière d’une famille de huit, « entre les casseroles et les marmites ». Le grand-père paternel, saxophoniste, l’éduque à discerner d’autres timbres. La grand-mère paternelle, une dame lettrée qui gouverne sa maison, prépare un hareng farci à la ciboulette, piment, citron, en douce friture. Les autres aïeux, agriculteurs, moulent leurs fromages. Leur petite fille s’enrobe tôt dans les travaux des artisans de la terre : cueillette au potager, traite des vaches en fin d’après-midi, barattage du beurre, pansage des chevaux ou alimentation des canetons et cochonnets.
 
Le père, après de longues études bien loin des paysages culinaires, grand connaisseur de la géographie et de l’histoire planétaires, forme ses enfants à la scintillante mosaïque des cultures, des monnaies aux drapeaux, des régimes politiques aux révolutions : « Il nous contait la France et on l’aimait ». Dans cette ville blanche, aux constructions classées en pierre de taille, la mère, Yolanda, cuisinière notoire, accueille les paysans dans sa picanteri*a, lieu typique de brassage et de passage qui préserve les traditions et techniques ancestrales (Cf. Lourdes Pluvinage, « Easy Pérou. Les meilleures recettes de mon pays tout en images », Paris, 2023, p.7).
 
Elle y concocte le poivron farci de viande hachée, piment rocoto, huile d'olive, petits pois, fromage frais, assaisonné de cumin et de persil haché. Elle s’applique au solterito (littéralement petit homme célibataire), salade de fèves, oignons, tomates, maïs et pommes de terre. La petite met vite la main à la pâte : « la cuisine était mon vécu, j’ai tout appris ». La marinade, l’escribano, pommes de terre au piment ou la lumineuse soupe du lundi, souvenir envoûtant d’un mélange de légumes et de viande parfumé aux herbes aromatiques, l’enchantent.
 
A huit ans, la famille de la bambine s’exile à Lima où sa maman rouvre un petit restaurant, « Au pied du Misti » en hommage au majestueux volcan dormant de sa cité natale. D’une grande personnalité, sa gastronomie attire autant les hauts gradés pour des commandes spéciales que les nobles paysans en quête de plats ancrés. La vie s’éploie tendrement. En 3ème, la curieuse du cœur du piment très piquant suit son programme d’histoire universelle où défilent Napoléon et Marie-Antoinette en dessins animés. Au sortir de son baccalauréat, en 1967, elle intègre la sélective Université Federico Villarreal de Lima où elle valide son diplôme de licence en sciences sociales. 
 
Malgré son poste au Ministère de l’Energie et des Mines, Lourdes Centty rêve de Naples pour renouer avec l’empreinte de ses arrière-grands-parents italiens. Elle s’inscrit à l’Alliance Française afin d’apprendre la langue de Molière, atterrit à Paris en 1988. Le coup de cœur pour la capitale s’accompagne d’un coup de foudre pour son mari, garde forestier puis ornithologue discret, père exemplaire. La brevetée de l’Ecole Monte Catini éprouve le besoin viscéral de transmettre la richesse culinaire de son pays à Paris, « capitale gastronomique mondiale ».
 
Le 28 juillet 1988, alors qu’une amie la convie aux préparatifs d’un dîner de 120 personnes pour la fête nationale péruvienne à l’UNESCO, ulcérée, elle s’improvise cheffe afin d’éviter une catastrophe : « la cuisine était ma passion mais cuisiner n’était pas une tâche noble ». Sa causa rellena, purée froide et sèche de pommes de terre citronnée, pimentée, thon, poulet, fruits de mer, avocat, épate la galerie des ambassadeurs. Sa réputation parisienne éclate. Julio Ramón Ribeyro, grand écrivain péruvien, lui commande des empanadas pour l’UNESCO : « 250 furent mangés en une demie heure ».
 
Durant six ans, elle occupera le poste de cheffe affiliée au département Pérou de la Maison de la place Fontenoy. En 1994, avec son associé, Eduardo Justo Caballero, proche des arts et des lettres, grand promoteur de l’identité péruvienne, la cuisinière pionnière crée son restaurant nommé El Picaflor (Le Colibri) dans le 5ème arrondissement. Les précurseurs tâtonnent, s’inspirent des meilleurs établissements parisiens pour les dressages : « On voulait de la beauté dans l’assiette. Je propose mes spécialités du Sud : rôti de porc au four, soupe d’écrevisses, lomo saltado, cœur de rumsteak sauté ».
 
En 1999, le directeur de Lafayette Gourmet installe un laboratoire dédié au traiteur péruvien pour cette enthousiaste du « leche de tigre », marinade du ceviche composée d’une base d’épices, de fumet de poisson et de jus de citron vert. En 2002, El Picaflor ouvre un département traiteur. En 2003, celle qui raffole des « papas à la huancaina », plat emblématique du Pérou, intègre Cordon Bleu Paris au titre de professeur de cuisine. En 2008, la diplômée de Ferrandi remporte le 1er prix au concours international de la pomme de terre avec un dessert original, une « profiterole de pomme de terre, réduction orange cannelle, soupe d’orange confite ».
 
La même année, à Caen, lors du Festival « L’Or des Incas », elle réussit le tour de force de servir 1000 couverts par jour pendant 10 jours. En 2010, à Sens, Lourdes Pluvinage représente le Pérou à l’Année Mondiale de la Pomme de terre, parmi dix-sept chefs étoilés. Celle qui applique les techniques françaises aux saveurs péruviennes transporte en pleine Cordillère avec un suprême de volaille à la sauce andine. En 2011, la décorée du grade de Commandeur dans l’Ordre National du Mérite péruvien pour services distingués n’en revient toujours pas de « ce sentiment très profond d’une petite aventure devenue une grande carrière. L’impossible n’existe pas. Je déteste la médiocrité ».      
 
En 2012, classé au patrimoine culturel des Amériques, la gastronomie péruvienne se détache avec Gaston Acurio, chef d’Ingrid et Gaston, écrivain et entrepreneur ou Virgilio Martinez Veliz, aujourd’hui premier restaurant du monde au W50 avec Central. En 2015, la pédagogue bâtisseuse inaugure, rue Tiquetonne, Casa Picaflor, première boutique de produits péruviens à Paris. L’initiale importatrice du Pisco en France introduit également, dans ce bouillonnement, la bière et l’inca cola.          
 
De Monaco à Delhi, de Rome à Madrid ou encore Bruxelles, la cheffe énergique désire partager, rassembler l’essence de sa culture en toute responsabilité d’ambassadrice. Riche de sa terre, diverse et mêlée, aux origines multiculturelles, chinoises, japonaises, africaines, la gastronomie péruvienne incorpore de puissants marqueurs identitaires tels que la macération, le piment, la fermentation. Le ceviche naît d’une marinade au pays des trois mille espèces de pommes de terre.
 
Le citron vert, le gingembre, le piment s’accordent à l’ail, au cumin, au poivre et à l’huile d’olive mais seule l’acidité crée la marinade : « On rassemble des ingrédients puis on les partage. C’est sacré. Causa, kausay en quechua, signifie rassemblement mais aussi copain avec un brin de tendresse. On dit Causita, mon complice ». La directrice du Groupe PICAFLOR disserte à l’infini sur les rocotos rellenos, ces piments farcis, symbolique de la ville du Misti, ce grand volcan impavide au chapeau explosif : « Ma mère les réalisaient dans une marmite de terre cuite sur un feu de bois ».
 
 D’un beau sourire profond, syllabaire du silence, elle médite la pure évidence de la purée, et le lucuma, ce fruit préhispanique de son enfance au goût de noisette.  
 

EL PICAFLOR

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