Au sud-ouest de Bruxelles-Capitale, à Anderlecht, germe un footeux nerveux. Le père, vendeur automobile, la mère, professeure de mathématiques, accueillent l’évènement le 26 février 1989 dans une fratrie de quatre. La maman affectionne la belle rôtisserie loin, néanmoins, des paysages culinaires. A 5 ans, le bon enfant part chez les scouts, à La Hulpe, en Wallonie, dans les voisinages. L’actif en classe manque à sa place, garrote son énergie par maints sports quasi militaires. La troisième ligne de rugby, pensionnaire d’internat, prolonge son cursus jusqu’à 14 ans.
Rien ne va plus pour le turbulent qui scénarise ses « gentilles bêtises ». A 15 ans, le juvénile wallon croise le beau-frère perpignanais de sa marraine, grand ami du glorieux double MOF 1976 Pâtisserie-Traiteur/Confiseur-Glacier encore inégalé : Yves THURIES. L’enjeu contrebalance le lumignon : « Si tu obtiens ton diplôme, tu rentreras chez un monument de la gastronomie française ». A 16 ans, les cocottes l’inspirent. Chaque fin de semaine, il marne à La Salicorne, un établissement à proximité.
Il discerne, entre le scoutisme et la cuisine, un parallélisme axiologique; partager et respecter les mets, faire à manger pour les autres sur un feu de bois, le repas en tant que moment rituel apaisant. Des journées entières en plein air exigent une éthique de vie humble, un sens communautaire aiguisé, une déférence à la hiérarchie : « Je faisais une volaille pochée à la casserole. On tuait le poulet à la hache, le vidait, le plumait. Oter la vie mais ne pas gaspiller ». En lisant, un jour, THURIES Magazine, fasciné par les visuels picturaux, il décide de devenir Chef.
Durant quatre ans, il suit les cours de l’Ecole Hôtelière Cardinal Mercier, à Waterloo, jusqu’au baccalauréat professionnel. A Cordes-sur-ciel, élu village préféré des Français, le commis engage la partie chez le pâtissier étoilé qui brise le socle épistémique. Foin de crèmes au beurre, mokas et biscuits fourrés, il professe les mousses aux fruits, les décors à la gelée, les coulis d'accompagnement, les gâteaux en cercle. A 18 ans, un 14 juillet, le bachelier ému, paquetage en bandoulière, fait effraction dans la cuisine ouverte de l’auteur du fameux Livre de Recettes d’un Compagnon du Tour de France.
La saison estivale engendre souffrance et joie : « Je ne distinguais pas la coriandre de la ciboulette mais j’avais une vraie curiosité ». Le renommé lempautois prévoit de le parachuter chef de partie pour une saison hivernale à Courchevel, chez l’exemplaire Michel ROCHEDY**, notoire intraitable, qui gravera, par son classicisme à la française, des générations étoilées. En 2009, le troisième commis au poisson souffre du froid dans sa minuscule chambre en sous-sol. Dans cette rude escouade, le courageux qui désarête le poisson en extérieur voit « des garçons tomber les uns après les autres ».
La technique d’élaboration des fonds l’ensorcelle autant que les arrivages de soles au caviar, turbots contisés à la truffe et autres corégones argentées. L’année suivante, le révolutionnaire gaillacois auteur de l’encyclopédie de la pâtisserie française, le propulse, à 21 ans, second de Jean-Pierre JACOB, au Bateau ivre des Cimes. Le maestro créatif et humain de la cuisine lacustre en évolution bouleverse le discret qui sait s’effacer derrière l’inspirateur des rives du Lac du Bourget : « Un papa gentil qui m’enseigne le terroir, les montagnes, les herbes aromatiques à portée de main ».
Le plus jeune chef exécutif de deux établissements double étoilés laisse le champ libre à la quintessence des pêcheurs : truite, lavaret, brochets et ombles chevaliers. Il capte la profondeur sauvage de l’écrevisse mais désire encore une autre vision novatrice. En 2011, le fidèle SIMONART aborde un autre style, un visionnaire du salé et des desserts à l’Aubergade : Michel TRAMA***. En 2012, l’arrivée chez le coréen Sang Hong DEGEIMBRE, à Hernau, en Belgique, fomente un choc immense dans la végétalité pour celui qui n’avait jamais travaillé dans son pays.
Il connaissait maintenant la France, ses terroirs et ses spécialités mais il pénètre dans un autre monde façonné par un sommelier de métier, ultra créatif, autodidacte. Jaillissant d’une technique moléculaire spectaculaire puis végétale, il implique totalement ses équipes dans un laboratoire quotidien d’essais. Cet univers repose sur une fabuleuse mise en scène des dressages. Le solide sous-chef opère un mouvement réflexif : « Contrarié et perdu, j’avais appris le produit, une marche à suivre française. En artiste, il renverse tous mes codes ».
Le co-auteur du livre recettes de Jean-Pierre JACOB retourne au Bourget du Lac pour éviter que le Bateau ne sombre. Martin SIMONART, touché, passe outre le lien complexe avec ce père spirituel qui lui suggère de revenir sans oser lui demander. Puissant d’intenses années de compagnonnage avec des chefs hors-normes, il revient plus fort pour amplifier sa créativité. En 2013, le chef se concentre sur le Bourget en dialoguant avec le personnel, montant la carte, restructurant les achats. Son style révèle un travail spécifique sur les légumes, la cuisson des viandes, les textures et les températures, les sorbets et les glaces, les granités.
En cinq années, il forge sa marque avant la fermeture brutale : « Je n’ai pas les murs, on va droit dans le mur ». A 25 ans, le loyal termine en beauté, la tête haute : « J’ai rendu ce qu’il m’a donné ». En 2018, il tombe amoureux de l’Auberge des Templiers, un cottage de charme, propriété de la famille DEPEE depuis 1946, monument réputé du patrimoine gastronomique français. Aux Bézards, sur la légendaire nationale 7, l’étoile trône depuis 1952. L’âme de sauveur régénère cette ancienne commanderie aujourd’hui Hôtel 5*.
Attaché aux valeurs de tradition et de continuité dans l’une des huit maisons fondatrices de l’Association « Relais & Châteaux », parangon de la France culinaire classique, Martin SIMONART surprend par une température, un accompagnement, une sauce ou un piment. Il aime les « beaux produits » mais souligne les légumes et les herbes, le salsifis par exemple. Il magnifie betterave et gibiers : « Je fais du local sans me priver du global. J’adore les belles langoustines ». Sa signature loge souvent dans un chassé-croisé légume-sorbet.
Il écrit des plats qui tombent du ciel : « cerfeuil tubéreux au lavaret fumé ». Dans ce duo chaleureux et glacé, il actualise des totems sans tabous entre des murs historiques. Les saveurs se suivent, s’équilibrent dans la sensation sphérique de toutes les substances, une acidité ou une amertume, une euphonie en impulsion, le basculement d’un trait d’intelligence. Dans le Temple des Templiers, Martin SIMONART explore le monde.
Le rocher au foie gras de canard s’agrémente d’un chocolat amer noisette. Les chips soufflées à la réglisse revivifient la marmelade de citron. La tartelette au sarrasin attise le butternut et physalis. La gaufre aux olives noires agrandit la crème de crottin. La gamba nantaise iodée au plancton surexhausse le yaourt fumé, citron caviar, jus de céleri à l’huile d’agastache. L’asperge verte se prélasse en deux temps : infusée à l’estragon, caviar de Sologne; rôtie, jaune d’œuf confit au café, velouté. La truite se marbre aux herbes, coulis en condiments, tuile croustillante.
Le saint-pierre grillé image les asperges blanches condimentées à la pistache, crème d’ail des ours. Le foie gras de canard se poche dans un bouillon au savagnin, chou fermenté, champignons. Le suprême de pigeon se laque aux épices, cuisse truffée en pastilla, salsifis à la fève de tonka, jus au cacao. Le Brie de Meaux se glace en crème, bonbon à la tagète, pamplemousse et sarrasin. Le chocolat croustille en tuile au cacao, parfait glacé au persil, praliné à la cazette, crumble à la fleur de sel. Les mignardises mignonnent : sablé au grué de cacao, ganache au curcuma; macaron tequila, citron vert et piment chile Ancho; pâte de fruit au cassis et paprika fumé.
Ici, à Boismorand, dans le parc agreste de cette maison de famille à la quiétude intemporelle, les céramiques argüent de leurs lettres de noblesse, une histoire qui a marqué l’histoire notamment la recette du pape des pâtissiers, Marie-Antoine CARÊME, offerte à Monsieur ROTHSCHILD puis redécouverte par la Reine Mère d’Angleterre quelques années plus tard, qui l’exigeait à chacun de ses repas, le Soufflé au Grand Marnier, fruits confits, crème glacée à la vanille Bourbon, repris par Lucienne-Anne DEPEE, première cuisinière en chef de la gentilhommière.